A l’extrémité sud de la rue Beautreillis se dresse un haut bâtiment moderne construit en 1933, dont la façade principale s’étend rue des Lions-Saint-Paul jusqu’à la rue du Petit-Musc. Ses deux entrées sont disposées sur deux courtes façades latérales, la principale côté rue du Petit-Musc, au n° 9, et une secondaire rue Beautreillis, au n° 2.
Avant lui s’élevait à cet emplacement un bâtiment dont il ne reste rien et qui avait son entrée rue des Lions-Saint-Paul. C’est son histoire que nous allons essayer de restituer.
L’immeuble actuel, annexe de l’Ecole Massillon installée juste en face dans l’hôtel Fieubet, de l’autre côté de la rue des Lions-Saint-Paul, est dénommé Foyer ou Division Gratry. Dans une monographie récemment parue sur l’Hôtel Fieubet[1], cette extension de l’établissement scolaire est largement évoquée. Le nouveau bâtiment, tant dans sa conception que dans sa construction, est marquant de son époque et du nouvel esprit moderniste qui prévaut en architecture. Des revues spécialisées de l’époque, La Construction Moderne et L’Architecture, ont publié à son sujet des articles très documentés [2].
Le terrain du 2 rue des Lions-Saint-Paul où est construite l’annexe, et l’immeuble qu’elle a remplacé, ont été acquis par « adjudication moyennant 336 000 francs » par l’Ecole Massillon en 1926. « Il s’agit d’une ancienne demeure à porte cochère, dont les trois corps de logis disposés en U sont desservis par une cour ouvrant sur la rue des Lions. Ce bâtiment est alors en mauvais état et des études pour y installer des salles de classe sont peu concluantes ». Aussi la démolition est-elle décidée et la construction d’un bâtiment neuf entreprise quelques années plus tard, le temps de réunir les fonds nécessaires[3].
A quoi ressemblait cette « demeure à porte cochère » ? Sans doute n’était-elle pas une maison bien remarquable, car la Commission du Vieux Paris se contente de prendre note de la démolition d’une « maison ancienne dans le périmètre de l’hôtel Saint-Pol » sise « Rue des Lions, n°2 ; rue du Petit-Musc, n° 9 » et aucune visite préalable ou de description des lieux n’apparaissent dans les comptes rendus de ses travaux.
La description graphique que nous offre le plan de Turgot, dressé dans les années 1730, et sa comparaison avec les plans parcellaires du XIXe siècle marquent des différences qui nous obligent à dresser des hypothèses sur l’évolution des constructions installées en ce lieu.
Sur le plan du XVIIIe siècle, à droite de l’hôtel connu plus tard sous le nom de Raoul, au n° 6, on trouve une seule maison correspondant aux parcelles des numéros 2 et 4 de la rue alors nommée Gérard Boquet. Il est en tout cas difficile d’en distinguer deux parties indépendantes l’une de l’autre.
Un peu moins de cent ans plus tard, sur le plan parcellaire 1810-1830[5], ce sont bien les plans de deux maisons distinctes, construites sur deux parcelles délimitées, qui sont reportées.
Doit-on supposer que la partie donnant sur la rue des Lions est le résultat d’une reconstruction partielle de l’ensemble tel qu’il se présentait au XVIIIe siècle ? Le détail ci-dessous tiré d’une photo d’Atget (avec en regard une vue d’aujourd’hui pour montrer les changements du XXe siècle) confirme en tout cas le plan parcellaire : le nombre et l’espacement des ouvertures du rez-de-chaussée correspondent. Les élévations des façades et les toits montrent clairement en tout cas que nous sommes bien en présence de deux maisons de construction distincte.
Cette photographie montre aussi, comme le plan de Turgot et le parcellaire de 1810-1830, qu’il n’y a pas d’entrée pour le 2 rue Beautreillis, à la différence du 4 qui dispose d’une porte cochère toujours bien visible aujourd’hui. Le 2 rue Beautreillis n’est alors que la face latérale gauche et sans porte d’entrée du 2 rue des Lions.
Autres images très partielles de l’immeuble qui a précédé l’actuelle annexe de l’Ecole Massillon, les vues ci-dessous sont des détails extraits et agrandis de photographies de cartes postales de la fin du XIXe ou du début du XXe siècles. Sur celle de gauche, la rue Jules Cousin est tout juste percée et les immeubles post-haussmanniens qui la bordent aujourd’hui n’ont pas encore été construits. Elle ouvre la perspective vers le boulevard Henri IV et la caserne de la Garde républicaine. Les deux ailes de la maison du 2 rue des Lions apparaissent dans le cadre dessiné et on devine aussi la cour et le mur l’isolant de la rue des Lions. Sur la vue de droite, l’aile droite de la maison, côté rue du Petit-Musc, est bien visible.
Sur la gravure ci-dessous, c’est presque l’ensemble de la silhouette de la maison du 2 rue des Lions que l’on devine derrière l’hôtel Fieubet, telle qu’elle pouvait se présenter dans le dernier quart du XIXe siècle.
Des documents du Casier sanitaire du 2 rue des Lions, dressé en 1909 [6] donnent une description de l’immeuble et de son élévation qui sont en partie corroborées par toutes ces illustrations : le bâtiment de fond de cour et les deux ailes, construits sur caves, ont 4 étages, le dernier mansardé. Mais apportant encore un peu plus d’incertitude dans l’histoire de cette maison disparue, il est indiqué dans ces documents que l’ « époque de la construction de la maison » est l’année 1865. Sans doute faut-il plutôt y voir la mention de nouveaux aménagements tels ceux qui apparaissent dans le plan parcellaire ci-contre, postérieur à 1860. Liés à la transformation d’une partie de la maison en bâtiment à usage industriel et commercial, un appentis et une loge sont notamment construits dans la cour. Cet aspect de son histoire et celle de ses habitants feront l’objet d’un prochain article.
(à suivre)
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[1] E. Faisant, A. Gady, F.-X. Carlotti, De l’hôtel de Fieubet à l’Ecole Massillon, Paris, Artelia, 2016, 223 p.
[2] La Construction Moderne, n° 34, 24 mai 1936, p. 700-704. L’Architecture, n° 4, 1936, p. 136-144. Ces revues sont consultables en ligne dans la bibliothèque numérique de La Cité de l’Architecture http://portaildocumentaire.citedelarchitecture.fr/nos-revues.aspx
[3] E. Faisant, A. Gady, F.-X. Carlotti, op. cit, p. 180.
[4] Annonce parue dans Le Journal, 17 mai 1926.
[5] Archives de Paris, plans parcellaires.
[6] Archives de Paris 3589W 1380 Casier sanitaire du 2 rue des Lions (2 rue Beautreillis/9 rue du Petit-Musc) dressé en novembre 1909.