La photographie de la façade sur rue de l’ancien immeuble du 21 rue Beautreillis révèle, pour reprendre le jugement de Lucien Lambeau[1], une construction « sans caractère ». Mais en ce début du XXe siècle, la propriété est à l’image de beaucoup des maisons du quartier, portant les traces de leur « occupation industrielle, commerciale et artisanale » et de l’ « exploitation maximale de [leur] superficie disponible, [qui] engendra la surélévation des bâtiments, la modification de la distribution intérieure originelle, la disparition des décors intérieurs, l’utilisation des cours et jardins »[2].
Les vestiges de l’ancien clocher de l’église Saint-Paul, à l’angle actuel de la rue Saint-Paul et de la rue Neuve-Saint-Pierre, tels qu’ils apparurent lors de la démolition du 34 rue Saint-Paul, en 1914 (Source : BHVP).
Automne 1913. Nous sommes au moment où la pioche du démolisseur va faire disparaître les maisons que nous avons visitées au cours des derniers mois. Les numéros 6 et 7 du passage Saint-Pierre sont déjà à terre et leurs voisines des numéros 2, 4, 9, 11 et 13 vont subir le même sort, comme rue Saint-Antoine les maisons des numéros 59, 63 et 65, et rue Saint-Paul, celles des numéros 34 et 36. La Commission du Vieux-Paris et son secrétaire, Lucien Lambeau, savaient ces immeubles susceptibles d’être « remplis de vestiges de l’antique cité », et ils ont accompagné ces travaux de démolition en effectuant des relevés et en collectant des objets intéressants pour les transférer au Musée Carnavalet. Surtout, en faisant faire des photographies des maisons condamnées, ils ont conservé pour l’avenir leur aspect et celui du quartier disparu.
Porche d’entrée vers le passage Saint-Pierre, 34 rue Saint-Paul, avec à droite l’entrée de l’escalier de l’immeuble (BHVP, source)
Il y a un peu plus de cent ans, le débouché actuel de la rue Neuve-Saint-Pierre sur la rue Saint-Paul était occupé par deux maisons dont on a commencé précédemment à raconter l’histoire. Au travers de celle qui portait le numéro 34 rue Saint-Paul[1] était percé le passage qui donnait accès à l’un des deux segments de voie en équerre formant le passage Saint-Pierre.
Condamné à tomber pour permettre l’ouverture de la future rue Neuve-Saint-Pierre, l’immeuble est représenté ici, sur ce cliché de presse daté de 1911, deux ou trois ans avant l’arrivée des démolisseurs. A droite de la pharmacie, dont on aperçoit une partie de la devanture, l’ouverture voûtée en plein cintre du passage voisinait avec l’entrée de l’escalier qui desservait les étages de la maison. Au pied de la vieille façade couverte d’affiches et de réclames, assise sur un pliant en toile, une marchande des quatre saisons a déposé ses paniers à même le trottoir, faute de disposer d’une carriole ou de tréteaux. Cette femme âgée est-elle la même que celle qui, en 1873, faisait l’objet de la plainte de « plusieurs propriétaires riverains » du passage qui demandaient la « suppression d’un établissement de marchande de légumes installée à l’entrée dudit passage, du côté de la rue Saint-Paul »[2] ?
Le 5/7 passage Saint-Pierre. L’immeuble est vu depuis l’entrée du passage rue Saint-Paul. Il est en cours de démolition, la partie sur sa gauche étant déjà abattue. A droite de la voie, l’ancien bâtiment de l’école primaire (Coll. Bibliothèques de la Ville de Paris).
Le 5/7 passage Saint-Pierre
Avec l’immeuble du n° 6 dont elle était mitoyenne et avec lequel elle s’imbriquait, la propriété portant le n° 5/7 du passage Saint-Pierre était en partie bâtie sur le passage voûté qui conduisait à l’ancien cimetière Saint-Paul. Située à la rencontre des deux tronçons en équerre formant le passage Saint-Pierre, elle possédait deux entrées placées de part et d’autre de la voûte marquant l’angle de la voie, cette particularité expliquant sa double numérotation.
Issu comme les bâtiments voisins des biens de l’ancienne Fabrique Saint-Paul nationalisés en 1792, le n° 5/7 fut vendu le 28 fructidor an IV (14 septembre 1796) « moyennant 8 100 francs au citoyen Berger, demeurant quai des Augustins, n° 48 »[1]. Antoine-Dominique Berger mourut en 1814. Sa veuve, Jeanne-Françoise Minnonet, décédée en 1826, désigna Clotilde-Égalité Villain, épouse de Jean-Pierre-Joseph Collin, comme héritière universelle. Clotilde-Égalité mourut en 1842, son mari en 1843, et leurs enfants se défirent de leur bien qui fut vendu par adjudication à Honoré-Joseph Texier, brasseur au 232 rue du Faubourg Saint-Antoine. A son décès en 1861, la propriété fut acquise, par adjudication là encore[2], par l’un de ses fils, Jules-André Texier. Puis en 1887, elle fut achetée par Alphonse-Alexandre Foiret, habitant Villiers-sur-Marne, contre la somme de 54 000 francs [3].
Nous pensions être enfin sortis de l’école de la rue Neuve-Saint-Pierre, mais la lecture de la presse à la recherche d’autres histoires nous a fait trébucher sur des évènements qu’il aurait été dommage de ne pas relever. Le modernisme de cette école inaugurée le 24 janvier 1924, avec notamment ses douches et son cabinet médical, avait été remarqué, et la presse, on l’a vu, s’en fit l’écho, suggérant qu’il faudrait « désormais, s’inspirer de toutes les réalisations heureusement faites rue Neuve-Saint-Pierre quand on créera de nouvelles écoles dans d’autres quartiers »[1].
Le jeudi 24 janvier 1924, par une froide journée qu’adoucissait un ciel bleu légèrement nuageux[1], tout un aréopage de personnages officiels entourés d’élèves et d’habitants du quartier étaient rassemblés en début d’après-midi[2] rue Neuve-Saint-Pierre à l’occasion de l’inauguration de la nouvelle école primaire de garçons. Sa façade de briques ornée de motifs floraux en céramique éclairait les quelques restes épars des maisons qui dix ans auparavant avaient bordé le passage Saint-Pierre.
La cérémonie était présidée par Georges Lalou, président du Conseil municipal de Paris, en présence d’Hippolyte Julliard, Préfet de la Seine, de Léon Riotor, Vice-président du Conseil général et de nombreuses autres personnalités du IVe arrondissement, de représentants du ministère de l’Instruction publique et des Beaux-arts ainsi que des établissements scolaires du secteur. Le grand rabbin Raphaël Lévy était le seul dignitaire religieux présent. Commissaires de police de l’arrondissement et officiers commandants de la Garde républicaine voisine partageaient aussi l’estrade à côté… de l’Inspecteur général des Poudres et Salpêtres.
Ce jour d’inauguration était l’aboutissement d‘une longue histoire commencée presque vingt ans plus tôt. Mais au-delà de la simple reconstruction de l’école, cette renaissance mettait un terme définitif à l’histoire du passage Saint-Pierre.
Dès l’origine du projet de création d’une salle d’asile passage Saint-Pierre en 1843, les autorités y avaient associé l’ouverture d’une nouvelle école primaire de garçons. Les deux établissements devaient se partager le nouveau bâtiment scolaire et en décembre 1845, le préfet Rambuteau se félicitait devant le Conseil municipal de Paris de l’achèvement des travaux[1].
Si nous sommes bien documentés sur le rez-de-chaussée où étaient situés les salles et les espaces réservés aux petits enfants fréquentant la salle d’asile , nous ne pouvons qu’imaginer l’aménagement de l’étage où était installée l’école de garçons. Comme le montre le plan, elle disposait sur le passage Saint-Pierre d’une entrée indépendante qui permettait d’accéder aux salles de classe par un escalier. Les fenêtres s’ouvraient sur les cours de récréation qui encadraient de chaque côté le bâtiment. Si celle placée à gauche était dévolue aux enfants de la salle d’asile, les garçons de l’école pouvaient profiter du « préau découvert » placé à droite. D’une superficie légèrement plus petite que la première, elle était protégée de la rue par des constructions légères qui abritaient les commodités. Des arbres apportaient ombrage et verdure.
L’école élémentaire de la rue Neuve-Saint-Pierre va dans quelques années fêter ses cent ans d’existence. Officiellement inaugurée le 24 janvier 1924 au terme de travaux qui, interrompus par la Grande Guerre, durèrent plus de dix ans, la nouvelle école remplaça alors celle construite en 1845 dans ce qui était alors le passage Saint-Pierre. La photo ci-dessus, conservée dans les collections du Musée Carnavalet, montre un moment particulier et emblématique. A côté du nouveau bâtiment, où sur des échafaudages surmontant la porte d’entrée, des ouvriers s’activent encore sur le fronton sculpté portant les armes de la Ville de Paris, d’autres manient la pioche pour faire tomber les murs de la vieille école et dégager ainsi une cour pour sa « somptueuse » voisine [1].
Au début de ces années 1920, la construction de la nouvelle école primaire fut le point d’orgue de la transformation du passage Saint-Pierre en rue Neuve-Saint-Pierre. Mais c’est sur l’histoire de l’école qui la précéda dans la seconde moitié du XIXe siècle que l’on va d’abord s’arrêter.
Le porche d’entrée du passage Saint-Pierre, sous l’immeuble 164 rue Saint-Antoine, avec son poteau marquant le caractère privé de la voie.
Année 1876. Revenant de la rue Saint-Antoine avec quelques légumes achetés chez l’une des nombreuses marchandes des quatre saisons dont les charrettes à bras se succédaient le long des trottoirs, la veuve Bazot[1] passa devant la parfumerie Papin, et après la boutique du cordonnier, tourna à l’angle et s’engagea sous la voûte de l’immeuble du n° 164 qui débouchait sur le passage Saint-Pierre. Elle contourna le poteau qui interdisait l’accès de la voie privée aux attelages, en prenant garde de ne pas glisser sur les mauvais pavés et d’éviter les caniveaux où, hiver comme été, s’écoulaient vers la rue Saint-Antoine, les eaux de pluie et les eaux usées des habitations et des ateliers. La veuve Bazot parcourut sur une trentaine de mètres l’étroit passage bordé de maisons et de murs que le soleil n’éclairait qu’à son zénith. A son extrémité se dressait un immeuble qui en barrait le fond et sous lequel s’ouvrait un porche.
Le 6 nivôse an V (26 décembre 1796), le citoyen Susse, « marchand de bois demeurant rue [Saint-] Julien-le-pauvre, n° 14 et 15 », quartier du Panthéon, achetait l’église Saint-Paul, désaffectée et devenue bien national, pour la somme de 43 200 francs. Il fit une bonne affaire puisque sa valeur avait été estimée à 500 000 francs. Depuis quelques mois seulement, le lieu était loué à la citoyenne Egresset, sans que l’on connaisse l’usage qu’elle en faisait[1]. Le citoyen Susse, lui, n’avait qu’un seul projet : abattre la vieille église.
Formidable réserve de pierres taillées, de bois de charpente et de métaux dans une ville qui faisait venir de loin tous les matériaux de construction, le bâtiment fut l’objet d’une démolition méthodique qui s’étendit sur quelques années.