Histoires de quartier… La rue Neuve-Saint-Pierre et l’ancien passage Saint-Pierre. 1 – A l’origine…

image 6Reliant la rue Beautreillis à la rue Saint-Paul, la rue Neuve-Saint-Pierre n’est assurément pas la plus belle du quartier, il s’en faut de loin. Création récente, elle est constituée d’une succession disparate d’immeubles de toutes époques. Si elle garde une certaine cohérence côté Saint-Paul, la rue reste marquée à son débouché rue Beautreillis par l’éventrement brutal du bâti effectué lors de son percement en 1923. La démolition de l’hôtel qui occupait jusqu’alors le n° 21 rue Beautreillis a laissé découvert l’immense pignon de l’immeuble voisin, hideusement décoré il y a une trentaine d’années par des aplats géométriques de couleur ocre et orangée sur un mur de moellons d’où ressortent des moignons de poutres sciées. Peut-être faut-il voir dans ces ornements quasi-psychédéliques qui tranchent, qui jurent même avec le parfait classicisme post-haussmannienne de la façade, une sorte d’hommage raté à la mémoire de Jim Morrison, mort dans cet immeuble en 1971.

Tracées dans le quadrilatère formé par les rues Saint-Antoine, Beautreillis, Charles V et Saint-Paul, la rue Neuve-Saint-Pierre et la petite rue de l’Hôtel Saint-Paul qui, perpendiculaire à elle, rejoint la rue Saint-Antoine, ont pourtant une histoire plus ancienne. Les nouvelles rues ont remplacé un vieux passage dénommé Saint-Pierre, ou Saint-Pierre-Saint-Paul, reste de l’environnement qui entourait l’église Saint-Paul et son cimetière aujourd’hui disparus. Cette voie située à l’abri de l’agitation des rues voisines a été marquée tout au long du XIXe siècle par sa vocation sociale et notamment scolaire, et celle-ci a subsisté jusqu’à nos jours avec l’Ecole primaire Neuve-Saint-Pierre. Le passage Saint-Pierre, parmi quelques autres voies, a pourtant constitué très tôt, avant la fin du XIXe siècle, l’un des lieux du quartier que les autorités qualifiaient d’insalubre. La présence d’établissements scolaires a sans aucun doute précipité ici les démolitions et reconstructions qui ont touchées plus tardivement au XXe siècle d’autres quartiers à l’habitat dégradé.

L’église Saint Paul des champs et son cimetière

Jusqu’à la Révolution française, l’espace formé par les rues Saint-Antoine, Beautreillis, Neuve-Saint-Paul (aujourd’hui Charles V) et Saint-Paul est en grande partie occupé par l’église Saint-Paul et le cimetière du même nom établi dans la continuité du chevet.

image 1Ce cimetière, à l’origine hors-les-murs, a été créé au VIIe siècle par Saint Eloi, conseiller du roi des francs  Dagobert 1er pour les sœurs du monastère de Sainte-Aure, situé sur l’île de la Cité. Pour Lucien Lambeau ce cimetière est, après la fondation de la chapelle Saint-Gervais, « la première occupation des abords de la rue Saint-Antoine à l’époque lointaine de sa formation » [1]. Une chapelle, nommée Saint-Paul-des-Champs, car « située au milieu des cultures, en pleine campagne »[2], est construite et elle devient par la suite église, puis église paroissiale au début du XIIe siècle lorsqu’ « en raison de l’accroissement de la population sur ces territoires neufs » est créée la paroisse Saint-Paul[3]. Détruite par les Normands au IXe siècle, relevée ensuite, l’église est embellie par Charles V et ses successeurs, installés tout près dans l’hôtel Saint-Paul.

image 2A l’époque classique, la façade de l’église « donnant sur la rue Saint-Paul [au niveau des actuels n° 30 et 32] était composée d’un haut pignon sur le pinacle duquel se dressait une statue de saint Paul […]. La porte s’ouvrait par une large baie ogivale qui se reproduisait comme dimensions, en une grande verrière placée au-dessus de ladite porte. A gauche du pignon, une tour carrée, éclairée sur la façade par trois hautes fenêtres ogivales et percée d’une porte de même style, se dressait, flanquée au nord, d’un escalier enfermé dans une gaine de pierre qui dépassait la tour de la hauteur d’un petit clocher ou échauguette permettant d’accéder sur la terrasse […] Du côté droit du pignon, une autre gaine de pierre, sorte de clocheton, se terminait également par un toit pointu en pierres superposées. Enfin, une petite construction ogivale semblant être un porche ou une chapelle était accolée à ce petit clocher et terminait la façade du côté droit. A l’intérieur, les deux côtés de la nef étaient ornés d’une galerie de pierre munie de balustrades sculptées ; une colonnade de hauts piliers sur des chapiteaux desquels retombaient les ogives, saisissait la vue par sa massive régularité »[4].

image 3Des écrivains du XVIIIe siècle que cite L. Lambeau, rejetant le style gothique peu apprécié à cette époque, reprochent à l’église Saint-Paul-des champs sa maçonnerie « massive et lourde », ses « voûtes basses », ses « jours mal entendus, ce qui la rend sombre et triste »[5]. Le maître-autel pourtant, construit de bois et d’or, a été dessiné par Jules-Hardouin Mansard et décoré des peintures de Corneille le jeune et de Van Cleve ; des tableaux de Le Brun ou de Jean Jouvenet, des tapisseries ornent les murs et des verrières et des vitraux les ouvertures.

Au moment de la Révolution française, le culte catholique est supprimé dans l’église Saint-Paul. Le 11 brumaire en II (11 novembre 1793), les comités révolutionnaires de la section de l’Arsenal se présentent devant les autorités de la Commune de Paris pour se proposer « de conduire devant la Convention tous les ornements et l’argenterie de l’église Saint-Paul, ainsi que l’arche » de Saint-Paul, que l’on sort en procession chaque année. « Nous porterons aussi, dit l’orateur, les clés de Saint-Pierre ; le paradis est ouvert, nous pouvons tous y entrer »[6] . L’église sert de lieu de réunions aux sociétés populaires. Dépouillé et en « piteux état », prenant l’eau « en raison des dégradations des couvertures et l’absence de vitraux », le monument est finalement vendu en 1796 comme bien national au citoyen Susse, qui acquiert par la même occasion la maison curiale, le cimetière et l’ancienne prison Saint-Eloi, qui lui est contigüe. L’église est alors rapidement démolie[7].

image 5

Attenant au chevet de l’église, le cimetière Saint-Paul, « le plus important de Paris après celui des Innocents », mais seulement long de 60 mètres sur 40 de large, a eu durant douze siècles la « mission de consommer tous les morts du quartier », pour reprendre l’expression de Lucien Lambeau.

Entourant le cimetière sur trois côtés, des travées de charniers servent à recueillir les ossements que « l’enclos mangeur de chair humaine rendait […] dès que la terre avait fait son œuvre » [8]. Ces charniers sont formés en « galeries large de 3,20 mètres et hautes de 3 mètres, fermées extérieurement par un mur plein, et à jour du côté du cimetière, comme un cloître. Sur un bahut de pierre de cinquante-cinq centimètres, très suffisant pour protéger le pavé à l’intérieur, se trouvaient placées des colonnes carrées (alternées avec des colonnettes cylindriques et monolithes), ornées de chaque côté d’une console formant chapiteau et portant un entablement sur lequel reposait un toit couvert en tuiles, légèrement incliné […][9]. Le côté parallèle à la rue Beautreillis dispose de charniers plus image 4

élevés, surmontés d’un étage « avec un comble couvert d’ardoise, et au milieu est un pavillon […] formant un porche servant d’entrée aux charniers par un porte grillée de fer ayant à droite et à gauche une porte pour un escalier qui communique de chaque côté aux salles qui servent les dimanches et les fêtes aux exercices de messieurs les élèves de la paroisse Saint-Paul »[10]. L’entrée principale du cimetière se situe cependant ailleurs, au débouché du cheminement qui longeait l’église Saint-Paul au nord, et qui deviendra le passage Saint-Pierre au XIXe siècle.

Des personnages célèbres ont trouvé leur dernière demeure dans le cimetière Saint-Paul : Rabelais, le Masque de Fer avec d’autres prisonniers morts à la Bastille, Armande Béjard, Mansard. Avec eux, des générations de Parisiens y ont aussi été enterrés. « Sa terre, horrible mixture, toujours affamée, toujours au travail, dévorait les cadavres avec une rapidité foudroyante. On peut aisément évaluer à plusieurs millions le nombre de corps que ce petit coin de terre absorba pendant l’espace de douze cents ans.

Si les nobles argentés et les riches bourgeois pouvaient être mis en terre dans une des chapelles situées sur le pourtour des charniers, voire dans l’église elle-même,  « les inhumations des pauvres se faisaient habituellement de la façon suivante : on creusait des fosses communes de 30 pieds[11] de profondeur et de 20 de largeur dans lesquelles on entassait, en rang serrés, les corps des décédés renfermés dans des bières. Ces dernières étaient placées si près des unes des autres, que les fosses contenaient un véritable massif de cadavres dont le nombre était approximativement de 1 500 pour chacune. Lorsqu’elles étaient pleines, un pied de terre était étendu sur la dernière couche de corps, et l’on creusait une nouvelle fosse à quelque distance »[12]

Le voisinage de tant de morts n’est pas sans poser problème à ceux qui vivent à proximité du cimetière. Les fosses communes sont creusées peu profondément pour être plus facilement refermées, et « quand le temps est à la pluie, il s’élève dudit cimetière des vapeurs empestées » qui s’insinuent partout, comme par les cheminées de l’appartement de Mme de Coigny, situé rue Beautreillis où elles ternissent même l’éclat de ses tapisseries.  Pire, les fossoyeurs ne donnent pas « un temps suffisant aux corps pour être réduits en ossements et en cendres », ouvrant des fosses communes dont les corps sont encore « à demi pourris », « mettant en pièces les membres des corps sur lesquels les vers et la pourriture n’avaient point encore achevé de s’exercer ». Spectacle effrayant « dont l’idée triste restait longtemps dans l’imagination ». L’incinération des vieux bois des bières augmente encore « la puanteur insupportable »[13]. Face à ce tableau et en toute mauvaise foi, curé et marguilliers de l’église Saint-Paul s’inscrivent pourtant en faux contre ces témoignages. Pour eux, ce cimetière « est sans contredit le plus aéré de Paris : rien ne l’offusque et il n’incommode personne »[14]. Mais avant même la Révolution, l’époque est à la dénonciation de l’insalubrité de ces lieux où l’on enterre les morts depuis si longtemps dans des « terres jamais renouvelées ». Alors que la population ne cesse de s’accroitre, la pestilence que génèrent les cimetières anciens n’est plus admise. « Au fur et à mesure que les maisons s’élevaient en étages, se resserraient, se tassaient autour de ces foyers pestilentiels dont les miasmes, pour ces raisons, n’étaient pas chassés par les vents et par le grand air ». image 7En 1765, une tentative du Parlement de Paris de fermer et de désaffecter tous les cimetières intramuros au bénéfice de huit nouveaux cimetières créés hors les murs échoue pourtant, notamment du fait de l’opposition du clergé de Paris qui aurait « perdu des sommes énormes à ne plus inhumer dans ces églises ni autour »[15]

La Révolution va accélérer les choses, et modifier considérablement l’évolution du quartier. Leur vente comme bien nationaux entraîne la destruction de l’église et la fermeture du cimetière. Les ossements des charniers sont transférés dans les Catacombes, mais une grande part reste sur place, sommairement enterrés. Les charniers eux-mêmes, démolis ou remaniés, ou intégrés dans de nouvelles constructions au cours du XIXe siècle, disparaissent du paysage et aussi des mémoires.

 

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[1] Les informations sur l’église et le cimetière Saint-Paul sont pour l’essentiel tirées de l’ouvrage de Lucien Lambeau, L’ancien cimetière Saint-Paul et ses charniers, l’église Saint-Paul, la grange et la prison Saint-Eloi, Paris, 1910.

[2] L. Lambeau, op. cit., p. 4.

[3] L. Lambeau, op. cit., p. 6.

[4] L. Lambeau, op. cit., p. 9.

[5] Piganiol de la Force, cité par L. Lambeau, Ibid, p. 9.

[6] Registres de la Commune, T. 22, cité dans La Revue municipale et Gazette réunies, 1er mai 1861.

[7] Lambeau, op. cit., p. 12.

[8] Lambeau, op. cit., p. 14.

[9] Abbé Dufour, Le charnier de l’ancien cimetière Saint-Paul, Paris, Revue universelle des arts, 1866, pages 10-11

[10] Procès-verbal de la visite du cimetière de la paroisse Saint-Paul, par les commissaires Rochebrune et Carlier (25 avril 1763), in L. Lambeau, op. cit., pièces annexes, p. 23. Je situerais cette entrée du cimetière rue Beautreillis au niveau des n° 13 et 15. En effet, ces deux immeubles, sont (re)construits autour de 1840 alors que subsistent les n° 11 et 17 qui les encadrent. L’allée arborée visible sur le plan de Turgot aboutit d’ailleurs dans les parcelles actuelles des n° 13 et 15.

[11] Un pied est égal à 32 cm.

[12] Lambeau, op. cit., p. 14

[13] Procès-verbal de la visite du cimetière de la paroisse Saint-Paul… , op. cit, p. 25-26

[14] Mémoire présentée à Nos seigneurs de parlement par les curé et marguilliers de l’église royale et paroissiale de Saint-Paul, en exécution de l’arrêt de la Cour du 12 mars 1763, in L. Lambeau, op. cit., pièces annexes, p. 26

[15] L. Lambeau, op. cit., p. 18.

 

Auteur : Gaspard Landau

Sous le nom de Gaspard Landau, j'explore l'histoire de ce bout du Marais qui, sur les bords de Seine, s'est érigé sur les fondations de l'ancien hôtel Saint-Pol. A côté de cela, sous le nom d'Olivier Siffrin, je suis bibliothécaire à la Bibliothèque nationale de France.

Une réflexion sur « Histoires de quartier… La rue Neuve-Saint-Pierre et l’ancien passage Saint-Pierre. 1 – A l’origine… »

  1. Je vous renouvelle mes remerciements pour la clarté de
    cet article qui puise avec bonheur
    à la source de l’historien de Paris
    Lucien Lambeau.
    Ses écrits publiés dans le bulletin
    de la société historique et archéologique La Cité et dans les
    procès verbaux de la Commission
    du vieux Paris sont une référence
    sûre.

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