
La photographie de la façade sur rue de l’ancien immeuble du 21 rue Beautreillis révèle, pour reprendre le jugement de Lucien Lambeau[1], une construction « sans caractère ». Mais en ce début du XXe siècle, la propriété est à l’image de beaucoup des maisons du quartier, portant les traces de leur « occupation industrielle, commerciale et artisanale » et de l’ « exploitation maximale de [leur] superficie disponible, [qui] engendra la surélévation des bâtiments, la modification de la distribution intérieure originelle, la disparition des décors intérieurs, l’utilisation des cours et jardins »[2].
Les agents du cadastre qui passèrent dans les années 1850 la porte cochère[3] trouvèrent une « construction en assez bon état, en pierres, moellons et pans de bois »[4], composée de plusieurs corps de bâtiment de taille et d’élévation variées. On sait que dans les années 1840, la maison fit l’objet de gros travaux de la part de son propriétaire d’alors, Jean-Baptiste-Aimé Riquier, des entrepreneurs ayant été « chargés de réparer la propriété de fond en comble »[5]. Mais même d’ampleur considérable, ce ne fut pas une reconstruction totale, car les règles d’alignement édictées par l’ordonnance royale du 10 mars 1836 portant la largeur de la rue à 10 mètres, auraient imposé un retrait de la façade par rapport à sa limite d’alors.
Évolution des constructions dans le secteur de la rue Beautreillis autour de l’ancien n° 21 (anciennement n° 13).



Situation aujourd’hui, après que le 21 rue Beautreilis ait laissé place à la rue Neuve-Saint-Pierre (vue Google Earth).
On peut donc supposer que subsistèrent encore dans les bâtiments remaniés les restes de constructions plus prestigieuses datant des époques antérieures. Du XVIe au XVIIIe siècle en effet, après la création et le lotissement de la rue sur les vestiges de l’ancien hôtel royal de Saint-Pol, hôtels et maisons avaient été bâtis sur des parcelles débarrassées des constructions anciennes qui tombaient en ruines. La parcelle du 21 rue Beautreillis et ses voisines occupaient une partie de l’emplacement de l’ancien hôtel de Beautreillis, élevé par Charles V dans les années 1360[6]. Charles Lefeuve nous dit que le numéro 21 avait certainement été édifié en même temps que la maison voisine du numéro 23, « dans le style Louis XIII »[7], et donc dans la première moitié du XVIIe siècle.
Le plan de Turgot en perspective cavalière, datant des années 1730, ne présente qu’une vue sommaire de l’arrière des bâtiments situés dans cette partie de la rue Beautreillis où se trouvait notre immeuble. On y a représenté un alignement de corps de bâtiment plutôt similaires, avec façade sur rue, flanqués d’une aile, d’une hauteur d’un étage et sans doute d’un deuxième sous combles. La forme des parcelles, telle qu’elles avaient été fixées lors de l’aliénation de l’hôtel de Beautreillis et le percement de la rue en 1554, conditionnait d’ailleurs l’implantation et l’orientation des bâtiments qui allaient y être construits. Elles n’offraient en effet, dans cette partie de la rue, que 10 mètres de large en façade sur la nouvelle voie, pour vingt à trente-cinq mètres de profondeur[8].


Remarquons aussi la représentation de ce secteur de la rue dans l’édition de 1775 du plan de Jaillot[9]. A l’instar d’autres hôtels remarquables du quartier, comme l’hôtel de Charny juste en face, un bâtiment particulier est mis en valeur à un emplacement correspondant approximativement aux futurs numéros 21 et 23 de la rue Beautreillis. Mais nous ignorons les raisons qui expliqueraient cette distinction et la possible réunion des deux hôtels en un même ensemble à cette époque.
Du fil au bois.
Dès la fin de l’ancien régime, il est possible que l’hôtel du 13 (=21) rue Beautreillis ait été transformé en maison de rapport par ses propriétaires, les Berthelot de la Villeurnoy, qui, eux, logeaient dans un hôtel de la rue de La Cerisaie[10]. Au tout début du XIXe siècle en tout cas, l’ensemble du lieu était occupé par Maximilien Debrioude qui y installa et y développa sa filature de coton. Locataire principal, et peut-être unique en raison des besoins d’espace nécessaires à son activité industrielle, il en devint le propriétaire en 1812 après l’avoir acheté à la veuve de Berthelot[11]. On peut supposer que le bâtiment subit alors des transformations et une altération sensible de sa construction d’origine. Pour installer les milliers de broches portant les bobines de fil de coton, les cloisons intérieures ont dû être abattues et des pièces réunies. De nouvelles constructions ont aussi dû être élevées dans la cour (bâtiment 2 sur le plan ci-dessous) ou dans les jardins (bâtiments 4 et 5).
Après la faillite de Debrioude et la vente de la propriété à Jean-Baptiste Riquier en 1824, celle-ci devint à partir de cette date, en même temps que sa voisine du n° 15(=23), le lieu de réunion, rue Beautreillis, d’un ensemble d’artisans du meuble qui occupèrent les lieux jusqu’au début des années 1840. La caractéristique qui reliait ces artisans était la prédominance de ceux qui, d’après leur patronyme, étaient originaires d’Allemagne ou de Suisse alémanique, ou descendants de cette immigration qui a marqué l’histoire de l’ébénisterie française au XVIIe et surtout au XVIIIe siècle. Apportant avec eux « des compétences et techniques jusqu’alors inconnues ou oubliées en France », comme le placage de bois et la mécanisation du tranchage[12], ces artisans étaient notamment nombreux faubourg Saint-Antoine où, avant la Révolution, leur qualité de luthériens les reléguait en dehors des barrières et des corporations. Ils formaient là « de petites colonies regroupées dans certaines rues » et le « nouvel arrivant y [était] accueilli par ses pairs, ses parents, ses anciens de même origine, et quelque fois avec plusieurs compagnons, souvent des frères, des cousins, et logés sous le même toit que l’atelier »[13]. Artisans recherchés pour la qualité de leur production, ces ébénistes d’origine germanique comptaient de nombreux aristocrates dans leur clientèle. Aussi la Révolution fut fatale à beaucoup d’entre eux qui cessèrent leur activité ou abaissèrent leur production à des niveaux de qualité plus modestes.[14]

Au début du XIXe siècle, on retrouvait donc encore, au numéros 13(=21) et 15(=23) rue Beautreillis, une de ces communautés à la fois professionnelles et nationales, ou du moins linguistiques. D’après les relevés faits dans les almanachs et autres annuaires parisiens de l’époque[15], elle commença à s’y constituer au début des années 1820. Installé d’abord seul dans l’immeuble voisin, au n° 15(=23), l’ébéniste Nestlé partagea les lieux à partir de 1828-1829 avec d’autres fabricants de meubles, comme Zchender, Gsells, Martin-Merck, « fabricant d’ébénisterie en tout genre, [avec] envoi en province », Picart, ou encore Hains, « fabricant de toilettes à la duchesse ». Auprès d’eux, à la même adresse, tout un monde de métiers liés et associés à l’ébénisterie : Frémy, un fabricant de « papier verrés » dont nous reparlerons un jour, Saulny, un marbrier, Blanche, un « doreur et peintre en bâtiment et meubles, assortiments et moulures », Defert, un marchand de bois des îles reconverti en commissionnaire en meubles.
Dans notre immeuble du numéro 13(=21), c’est en 1825 que la maison Sintz (ou Sinz) posa ses établis dans l’ancien hôtel tout juste libéré par la faillite de la filature de Debrioude. Installés auparavant rue Saint-Antoine, les Sintz étaient spécialisés dans la « fabrication de chaises, de méridiennes, de sièges de fantaisie »[16]. La Révolution avait mis à bas l’entreprise de Joseph Sintz, reçu maître en 1785 et d’abord établi rue de la Michodière[17], et l’avait contraint à s’adonner « à la brocante, achetant et vendant à bas prix des meubles démodés »[18]. Quarante ans plus tard, à l’instar de Nestlé au 15(=23) rue Beautreillis, Joseph Sintz, ou plutôt sans doute son héritier, Augustin-Edme-François Sintz, était entouré au 13(=21) rue Beautreillis d’autres artisans du
bois. Des ébénistes : Hiolle d’abord, celui-là même que nous avons déjà rencontré à l’occasion de ses tribulations avec la garde sentinelle de l’île Louviers, « fabricant de toilettes à la duchesse, consoles et autres petits meubles en tous genres » ; Very, spécialisé en lits, commodes et secrétaires ; Charles, « fabricant de toilettes à la duchesse, de toilettes d’homme, de tables à balustres », et qui avait son atelier au 4e étage ; Kisler[19] ; Klun (ou Kluin) ; Menchez, arrivé tardivement, en 1838, et qui réglait un loyer à 450 francs l’année pour son atelier[20]. On trouvait aussi dans les lieux des doreurs sur bois, Roussin et Ravy, et un menuisier, Simonin.
Au début des années 1840, sans doute au moment où Riquier, son propriétaire entreprit les gros travaux de réparation et de reconstruction de l’ancien hôtel, qui portait désormais le numéro 21 après la réunion des rues Beautreillis et Gérard Bocquet, tous ces artisans le quittèrent, suivis par leurs voisins du n° 15, devenu n° 23. Ils s’installèrent ailleurs, comme Nestlé qui partit au 200 rue Saint-Antoine, Menchez, rue de Charenton, ou Augustin Sintz qui déplaça son atelier rue des Tournelles, n° 47, où sa production continua d’être remarquée ; l’ébéniste déposa même un brevet d’invention pour « un système de fond de sièges et dossiers de toutes formes nattées, en bois indigène et étrangers » à l’usage de toutes sortes de sièges et banquettes[21].
Petits commerces…
La visite que nous allons entreprendre de la propriété du 21 rue Beautreillis a pour cadre le bâtiment dans l’état où il devait se présenter après son remaniement entrepris par Riquier dans les années 1840 et qu’il conserva jusqu’au début du XXe siècle[22]. Le plan qui nous servira de guide date lui de quelques années avant[23] et donne le détail précis de la construction au niveau du rez-de-chaussée. La confrontation, malaisée, avec les données du cadastre des années postérieures, montre toutefois que si reconstruction il y a eu, elle a sans doute concerné en premier lieu les espaces intérieurs qu’il a fallu diviser et recloisonner, l’objectif de Riquier ayant été la création de logements en vue de leur location. Le gros œuvre des bâtiments anciens dût être conservé, de même que celui des plus récents construits dans la cour et les jardins par Debrioude. Comme ailleurs dans le quartier, certains corps de bâtiment furent surélevés par l’ajout d’étages et le réaménagement des combles.
Sur la rue, de part et d’autre de la porte cochère rectangulaire surmontée d’un simple linteau, trois boutiques « divisées » s’ouvraient sur la rue. Celle placée la plus à gauche disposait d’une soupente. En 1852, un sieur Beaudet y tenait boutique de mercerie et bonneterie ; lui succédèrent dans ce commerce un nommé Chivas entre 1873 et 1879[24], une demoiselle Ménard dans la décennie suivante, puis une dame Charrier qui ne resta dans les lieux qu’une année, en 1889. En 1893, un horloger, Morel, prit à bail la boutique à la soupente et il y demeura jusqu’en 1902. De 1907 jusqu’au départ des habitants de l’immeuble en 1913, avant sa démolition, Detoc puis Pelot, marchands de chaussures et cordonniers occupèrent cette première boutique.

Dans la boutique mitoyenne, juste à gauche du porche d’entrée, on trouvait une gargote servie par un marchand de vins, Gomard, entre 1866 et 1874, puis Aubourg, jusqu’en 1879. Une blanchisserie remplaça en 1880 comptoir et bouteilles, et fut tenue par Mme Gadot jusqu’en 1884, Mme Vincent en 1885, et Mme Mauzaize jusqu’en 1905. Ensuite, jusqu’en 1913, se succédèrent, sans visiblement trop de succès, les dames Limpech, Renversé, Lemercier, Larivière, Louis et Widt. La blanchisserie de fin ne disposait pas de « bâtiment de buanderie »[25] ; lavage et séchage devaient se faire au lavoir Saint-Paul, la boutique, de dimension restreinte, servant au dépôt du linge et à l’accueil des clients.
La troisième boutique, située à droite de la porte cochère, fut occupée de 1858 à 1861 par un épicier, Moriette, puis des années 1870 à 1898 par un marchand de fruits nommé Petit, auquel succéda sa veuve. François Briot, qui était également crémier, loua les lieux jusqu’en 1906, et lui succédèrent De Roos, un épicier jusqu’en 1910, Freycinet et Lacour cette même année. Lefuel en 1911 tint ensuite le commerce dont l’enseigne révélait qu’outre des fruits, on y vendait aussi des légumes, des « vins et liqueurs », et du « bouillon de bœuf à emporter »
ateliers, …
Un corps de bâtiment, construit sur caves, haut d’un « étage carré et d’un second lambrissé » (n° 1 sur le plan) et occupant environ les deux-tiers de la longueur

en façade sur rue de la propriété, surplombait la porte cochère et les deux boutiques encadrant celle-ci. Sur sa gauche, le pignon du corps de bâtiment en aile de la cour, percé d’ouvertures et de la boutique à soupente, complétait la façade dans sa longueur. On accédait aux étages par une porte ouvrant à droite sous le porche. Au premier niveau, un logement en deux parties et à deux portes, distribué de part et d’autre de la montée d’escalier, se composait d’une entrée et d’une chambre sans feu, et d’une chambre à cheminée, leurs croisées s’ouvrant sur rue. Sous les combles, un second logement plus grand s’agençait entre une entrée, une cuisine, deux chambres, dont une avec feu, ouvertes sur rue, et un cabinet en deuxième jour.
Passé le porche, dans la cour, on trouvait sur la droite un corps de bâtiment en aile (N° 2 sur le plan). Nous le pensons postérieur à la construction de l’hôtel lui-même, et il fut sans doute bâti au début du XIXe siècle, à l’époque de la filature de Debrioude. Élevée sur terre-plein, c’était sans doute une construction légère, peut-être en simples pans de bois. Le rez-de-chaussée était divisé entre un grand atelier et un magasin, semble-t-il bien pourvus, d’après le plan, en ouvertures nécessaires à leur éclairage. Au-dessus, un seul étage était partagé entre un logement de deux pièces d’un côté, et de l’autre la pièce à feu servant de loge au concierge.
En 1883, un plombier, Beaurepaire, s’installa dans l’atelier de l’aile droite. Puis un fabricant de vitraux et peintre-verrier, Gustave Meers prit sa suite en 1892. Quelques années plus tôt, à l’occasion en 1885 des funérailles de Victor Hugo, l’artiste avait conçu un tableau-vitrail : « Sur fond d’argent, une couronne de laurier entrelacée d’un ruban. Au milieu de cette couronne éclat[ait], sur un fond mordoré, le nom de Victor Hugo ». Ce travail, « des plus curieux », était destiné à rejoindre le tombeau du poète au Panthéon grâce aux bons soins du journal Le Rappel[26]. De 1894 à 1900, les tuyaux de plomb et les robinets de Debarre, puis d’Hubert, jusqu’en 1907, remplacèrent les verres colorés de Meers.
Le magasin voisin de l’atelier fut occupé dans les années 1880 et 1890, entre autres, par un couvreur à façon, un chiffonnier au détail, un quincaillier, un marchand de beurre et de fromage, puis servit dans les années 1900 de lieu de stockage pour des entreprises voisines : les laboratoires pharmaceutiques Goy, installés au n° 23 rue Beautreillis, puis la maison Ballauff et Petitpont, fabricant de stores dont les bureaux occupaient l’ancien hôtel de Charny, en face, au n° 22.
… et locations ouvrières.
Les agents cadastraux du XIXe siècle distinguaient dans leur description sommaire de la propriété le « troisième bâtiment, en aile à gauche […] élevé sur caves de quatre étages carrés », simple en profondeur, du « quatrième au fond de la [première] cour […], semi-double et élevé d’un entresol, cinq étages carrés et le sixième sous combles ». Dans notre démarche de restitution de ces corps de bâtiment disparues, nous les avons regroupés (bâtiment n° 3 sur le plan). La distribution de leurs étages par le même grand escalier et l’enchevêtrement des logements et des circulations dans les descriptions semblent montrer qu’ils étaient les deux ailes, formant un plan en L, du même bâtiment principal de l’ancien hôtel. On remarquera d’ailleurs le plan également en L de l’hôtel voisin, au n° 23, orienté inversement, mais là aussi commandé par la forme de la parcelle et sa faible largeur.
Mais avouons-le ici, la complexité des aménagements intérieurs tels qu’ils émanent des descriptions sommaires des agents de la Ville nous interdit de tenter une restitution suffisamment exacte, voire même cohérente, de cette partie de l’ancien hôtel sans risquer d’accumuler des suppositions et sans doute beaucoup d’erreurs. Ce que l’on peut tenir comme certain, c’est d’abord l’ajout d’étages supplémentaires sur des corps de bâtiment qui ne devaient en compter qu’un à l’origine, au mieux deux avec les combles. Cette surélévation des constructions existantes en vue d’augmenter les surfaces habitables est une constante au XIXe siècle dans le quartier, et rares sont les hôtels et maisons qui y ont échappé. Sur la photographie qui nous reste de la façade, l’ajout des troisième et quatrième étages par surélévation des anciens combles est très visible.

Par le grand escalier, on accédait au 2e étage et à ses neufs logements, dont quatre avaient deux pièces avec soit une entrée, une cuisine ou un cabinet supplémentaire, deux une seule pièce avec cabinet ou soupente, et trois une pièce simple ; la plupart disposait d’une cheminée. Ensuite, on se perd un peu dans les descriptions des niveaux supérieurs. Résumons la visite en précisant que les logements des étages élevés de ce double corps de logis se limitaient parfois à deux, mais le plus souvent à une seule pièce.
Par un couloir du bâtiment placé au fond de la première cour, on accédait à une deuxième cour et à d’autres bâtiments (n° 4 sur le plan) élevés à l’endroit où on trouvait autrefois les jardins de l’hôtel. Un premier magasin à gauche fut occupé notamment par des quincaillers au détail dans les années 1870 et 1880. Dans l’autre magasin, situé sur la droite, dans le rez-de-chaussée d’un bâtiment « adossé au précédent, élevé sur terre-plein » et haut de trois étages carrés et d’un quatrième lambrissé, se succédèrent des entrepreneurs de maçonnerie : Ernest Issac, entre 1874 et 1881, remplacé par Paul Bardon, « maître maçon » ; à la mort de ce dernier, en 1891, Maget prit la suite jusqu’en 1910. Albert Lefort fils n’installa au 21 rue Beautreillis que les bureaux de son « entreprise de maçonnerie et de tout à l’égout » et libéra le magasin de la deuxième cour. Deux fabricants de gaufres, Goia et Aucompte, remplacèrent les maçons juste avant la démolition de l’immeuble. Dix logements d’une pièce, sans doute minuscules, se partageaient les étages de ce bâtiment.
Au fond de la deuxième cour, un dernier bâtiment élevé sur terre-plein clôturait la parcelle. Un logement d’une pièce et deux magasins se partageaient le rez-de-chaussée. Au début des années 1880, les fabricants de stores Ballauff et Petitpont étaient locataires des lieux, et au-dessus des magasins, un étage unique accueillait deux logements de deux pièces, chacun desservi par son propre escalier. En 1898, magasins et logements à l’étage, peut-être trop vétustes, cessèrent d’être loués[28] ; seul le petit logement du rez-de-chaussée resta occupé et à la fin des années 1910, une dame Grunwald, marchande de fruits à l’étalage, y vivait.
Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, d’autres artisans et commerçants occupèrent des magasins ou travaillèrent dans des logements du 21 rue Beautreillis, sans que l’on puisse préciser lesquels[29]. Parmi eux, dans les années 1852 et 1853, Victor Lods, serrurier et fabricant de vis à bois et qui représentait à Paris la maison Laurent frère et beau-frère, de Plancher-les-Mines, en Haute-Saône, pour qui il faisait office de dépôt d’étrilles, d’objets de quincaillerie et de « couverts en fer battu ». En 1854 et 1855, un ébéniste, J. Bloch, y fabriquait encore des petits meubles de fantaisie, des « meubles Boule et en bois de rose », des tables de jeu et de jardin, des bureaux de dames et des bonheurs du jour, et réparait les « meubles antiques ». Quelques années plus tard de 1868 à 1874, un dernier ébéniste, Arduin, était encore présent dans l’immeuble.
On doit aussi signaler parmi les autres artisans présents dans la seconde moitié du XIXe siècle et le début du XXe un bottier, Marchal, entre 1866 et 1870 ; un imprimeur-lithographe, Bril, signalé en 1869 et 1870 ; des matelassiers, Mme Esnard, de 1900 à 1905, et Piels fils, de 1900 à 1913.
Dans l’ancien hôtel des Berthelot de La Villeurnoy, remanié et transformé tout au long du XIXe siècle, et qui, au début du XXe siècle, comptait entre ses murs 66 boutiques, magasins et « petites locations ouvrières », devaient vivre entre cent-cinquante et deux cents personnes. Quand en 1914 commencèrent les travaux de démolition, tous durent partir.
Aujourd’hui, sur le pignon du 17/19 rue Beautreillis, entre les aplats colorés censés faire décoration, subsistent encore entre les pierres les moignons des poutres sciées et les empreintes des planchers des anciens étages de l’immeuble disparu.


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[1] Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, 11 décembre 1912.
[2] Danielle Chadych, Le Marais, évolution d’un paysage urbain, Paris, Parigramme, 2014, p. 19.
[3] Archives de Paris, D1P4 93 et 94, calepin des propriétés bâties, années 1852-1862 et 1876-1901, document à partir desquels nous effectuerons la visite de la propriété.
[4] Description de 1852. Archives de Paris, D1P4 93.
[5] Charles Lefeuve, Les anciennes maisons de Paris sous Napoléon III, Paris-Bruxelles, 1873, p. 246-247.
[6] Voir Léon Mirot, La formation et le démembrement de l’hôtel Saint-Pol, La Cité, année 1916, p. 269-319, Jacques Hillairet, La rue Saint-Antoine, Paris, Minuit, 1970, p. 144 et sq., Danielle Chadych, op. cit., p. 186.
[7] Charles Lefeuve, op. cit., p. 246.
[8] Léon Mirot, op. cit., p. 289.
[9] Plan de Jaillot, édition 1775.
[10] Georges Hartmann, La rue de La Cerisaie et ses abords, la Cité, n° 125, (1933, janv.) p. 252.
[11] Archives de Paris, DQ18 267, sommier foncier. Le prix était de 24 950 francs. Douze ans plus tard, la maison fut rachetée 100 000 francs par Riquier, signe possible de la valorisation de l’ensemble par de nouvelles constructions.
[12] Jean-Charles Vogley, L’ameublement français : 850 ans d’histoire, Paris, Eyrolles, 2014, p. 46.
[13] Denis Roche, Les circulations dans l’Europe modernes (XVIIe-XVIIIe siècle), Paris, Hachette, 2003, p. 477.
[14] Jeanine Driancourt-Girot, L’insolite histoire des luthériens de Paris, de Louis XIII à Napoléon, Paris, Albin Michel, 1992, p. 256.
[15] Les noms et métiers des occupants des boutiques, des ateliers et des logements, de la fin du XVIIIe siècle et au début du XXe siècle, ont été établis à partir des informations des Calepins des propriétés bâties (Archives de Paris, D1P4 93 et 94) et de celles collectées (et qui souvent recoupent les précédentes) dans les annuaires et almanachs : Almanach du commerce et de toute les adresses de la ville de Paris…, Paris, Fabre, B. Duchesne, 1798-1799 ; Almanach du commerce de Paris, par Duverneuil et J. de La Tynna, Paris, Bureau de l’Almanach…, 1797-1838 ; Almanach du commerce de Paris, contenant plus de 50 000 adresses précises…, par Cambon, Paris, Cambon, 1840-1841 ; Répertoire du commerce de Paris, ou almanach des commerçants…, par M.-A. Deflandre, Paris, Bureau du Répertoire du commerce de Paris, 1828-1829 ; Almanach général des commerçants de Paris et des départements, contenant plus de 100 000 adresse, par Cambon, Paris, Bureau de l’Almanach des commerçants, 1837-1841 ; Almanach-Bottin du commerce de Paris, des départements de la France…, par Sébastien Bottin, Bureau de l’Almanach du commerce, 1839-1856 ; Almanach de plus de 45 000 adresses du commerce de Paris…, Paris, 1843 ; Annuaire général du commerce et de l’industrie ou Almanach des 500 000 adresses de Paris…, Paris, Société des annuaires, 1838-1856; Almanach-annuaire du commerce, de l’industrie, de la magistrature et de d’administration…, Paris, Firmin-Didot, 1857-1908).
[16] Almanach du commerce de Paris, op. cit., années 1823.
[17] https://www.anticstore.com/ebeniste/lettre-s
[18] Jeanine Driancourt-Girot, op. cit., p. 256.
[19] Spécialités relevées dans Répertoire du commerce de Paris, op. cit., années 1828 et 1829.
[20] Archives de Paris, DQ18 267, sommier foncier.
[21] Bulletin des lois du royaume de France, IX série, 2e semestre 1843, Paris, Imprimerie royale, p. 304.
[22] Archives de Paris, D1P4 93, années 1852, et D1P4 94, années 1876 et 1901.
[23] La numérotation des immeubles de la rue porte encore celle en vigueur avant 1840. Le plan parcellaire utilisé, dit Vasserot-Bellanger, a été dressé entre 1830 et 1850.
[24] Voir note 15.
[25] Archives de Paris, D1P4 94, année 1876.
[26] Le Rappel, 5 juin 1885. Sur Gustave Meers, sa production et son atelier, alors boulevard Voltaire, voir aussi Le Panthéon de l’industrie, 7 février 1886.
[27] Telle était aussi la maison voisine du n° 23 avec laquelle existaient beaucoup de ressemblances. Voir Antoine Quatremère de Quincy, Dictionnaire historique d’architecture, Paris, A. Le Clère et Cie, 1832, Tome 1, p. 589.
[28] Peut-être faut-il lier l’arrêt des locations aux travaux d’agrandissement du lavoir Saint-Paul entrepris en 1898. Le lavoir et le 21 rue Beautreillis étaient mitoyen de ce côté-là.
[29] Ils sont cités dans les annuaires et almanachs (voir note 15).