Histoires d’immeuble… Le 17-19 rue Beautreillis – 5

Septembre 1902. Le vieil hôtel du 17-19 de la rue Beautreillis venait tout juste d’être démoli. Les fouilles archéologiques menées dans son ancien jardin par la Commission du Vieux Paris se terminaient à peine que les premiers travaux de construction de l’immeuble de rapport et de l’usine attenante furent lancés par le nouveau propriétaire de la parcelle, l’industriel Émile Mettetal[1].

Le fer, la pierre et la terre

Enrichi par le fer, c’est dans la pierre qu’Émile Mettetal assura une partie de sa fortune. Au cours des premières années du XXe siècle, l’industriel fit l’acquisition de terrains pour y faire construire des immeubles de rapport. Ainsi, en mai 1900, il demandait l’autorisation de bâtir un immeuble de 6 étages sur un terrain de 414 m² situé à l’angle de la rue Danton et de la rue Mignon, dans le 6e arrondissement[2], qu’il avait acquis par adjudication au prix de 331 200 francs[3]. En 1902, ce fut le tour de l’immeuble de la rue Beautreillis.

En 1906, c’est un autre terrain communal de 129 m², situé entre le boulevard Raspail et la rue de Vaugirard et estimé à 57 068 francs, qui fut adjugé en 1906 à Mettetal, à charge pour lui de le viabiliser et d’y construire dans un délai de deux ans[4]. En 1909 enfin, c’est à Neuilly, à l’angle de la rue Berteaux-Dumas et de l’avenue de Neuilly (l’actuelle avenue Charles de Gaulle) qu’il fit élever un nouvel immeuble de rapport de 6 étages [5].

Dessin de la façade de l’immeuble du 17-19 rue Beautreillis, par L.-É.-A. Martin (Archives de Paris).

Émile Mettetal se fit accompagner dans ses projets immobiliers par l’architecte Léon-Édouard-Aimé Martin (1847-1920). Né à La Roche-sur-Yon, diplômé de l’École des Beaux-Arts en mars 1870[6], il avait été l’élève de Léon Ginain (1825-1895)[7] et accomplit toute sa carrière à Paris [8]. Architecte de plusieurs immeubles de rapport élevés dans les années 1880 et 1890, il inscrivit longtemps ses constructions dans les canons haussmanniens et leurs « servitudes esthétiques » imposées « pour assurer une meilleure harmonie »[9] au décor des nouvelles voies tracées dans Paris. Dans le dessin des premiers immeubles d’Édouard Martin, la pierre taillée, les cinq étages et leurs balcons filants au deuxième et au cinquième ainsi que la sobriété des décors soulignaient « la perspective unifiée des boulevards plus que le tableau individuel des façades » [10]. Pourtant, dès les années 1880, il aurait pu s’affranchir de ce formalisme. Des décrets avaient en effet assoupli les règlements qui, depuis Haussmann, avaient « paralysé les artistes, étouffé l’imagination et réduit à l’impuissance les hommes les plus doués »[11].

C’est tardivement, dans les dernières années de l’Art nouveau et dans la fin de sa période d’activité que l’architecte allait se libérer. Sur les terrains acquis par Mettetal, souvent situés à des emplacements convoités comme des croisements de rues, dans des quartiers bourgeois en reconstruction ou en expansion, les façades dessinées par Martin allaient désormais s’orner de saillis, de bow-windows, de décors soignés et de reliefs sculptés, témoignant d’une certaine façon de la prospérité de leur propriétaire. Rue Beautreillis aussi, entre les vieux hôtels aristocratiques déclassés et les maisons à pans de bois et plâtre, Léon Martin allait bâtir pour Émile Mettetal un écrin de pierre derrière lequel va prospérer des décennies durant, en plein cœur du quartier, une usine métallurgique où travailleront des centaines d’ouvriers.

Plan de l’usine 17-19 rue Beautreillis (Archives de Paris).

Émile Mettetal était également propriétaire terrien. Depuis la fin du XIXe siècle, il possédait une maison et des terres à Saâcy-sur-Marne (Seine-et-Marne) et des « chasses de plusieurs milliers d’hectares » situées dans ce village et à Pereuse[12], ainsi que des terrains agricoles[13]. L’homme du fer était membre de la Société d’horticulture de La Ferté-sous-Jouarre[14], commune voisine. Mais c’est surtout son fils et son successeur, Florian[15], qui profita de l’immense domaine briard.

Fils d’Émile et de Victorine Fournier[16], Florian Mettetal était né le 30 septembre 1883 rue du Chemin Vert dans le 11e arrondissement, berceau de l’entreprise familiale. La prospérité venue, l’héritier était devenu à la fin de la première décennie du XX e siècle une figure remarquée de la bonne société parisienne. « Sportman bien connu » et chasseur expérimenté[17], membre du Fishing-Club de France[18], il semble avoir été passionné d’automobiles si l’on compte le nombre de voitures qui furent mises en vente à l’adresse du 17 rue Beautreillis tout au long de sa vie[19].

Revue générale d’électricité, 6 janvier 1917 (BnF Gallica)

Associé aux affaires de son père, Florian Mettetal filait les fins de semaine s’occuper de chasse et de sport dans la villégiature de Saâcy, gros village de 1400 habitants[20] dont il fut élu, en 1909, conseiller municipal à l’âge de seulement 26 ans[21]. C’est là, le dimanche 8 juin 1912, sur la route de La Ferté-sous-Jouarre qu’au volant de sa voiture roulant à vive allure, il renversa une fillette de huit ans, Andrée Heurtevin, qui marchait le long de la route avec sa famille. L’enfant ne survécut pas à l’accident, mais il n’y eut aucune suite judiciaire, des témoins ayant assuré que « l’enfant jouait sur la route et allait rejoindre son jeune frère de l’autre côté quand la voiture de M. Mettetal la tamponna »[22].

Peu après ce drame, le 2 juillet 1912, Le Gaulois[23], journal du grand monde, annonçait le décès à son domicile de la rue Beautreillis d’Émile Mettetal, « industriel, chevalier de la légion d’honneur », dans sa soixante-deuxième année. Ses obsèques, conduites par son fils Florian et son beau-fils, le député Joseph-Louis-Arsène Le Cherpy[24], furent célébrées le 3 juillet au Temple des Billettes, rue des Archives. A la nombreuse assistance s’étaient joints les « ouvriers de son usine [qui] avaient tenu à rendre les derniers devoirs à cet homme de bien »[25]. Émile Mettetal fut inhumé au cimetière de Saâcy-sur-Marne. Quelques semaines plus tard, Florian Mettetal épousait « dans la plus stricte intimité » en raison du deuil qui le frappait Simone Sandoz, fille de G.-Roger Sandoz, célèbre orfèvre et joaillier du Palais-Royal[26].

Prospérité

Florian Mettetal prit à la suite de son père la direction de l’usine de tournage, décolletage et étampage de la rue Beautreillis, aidé à ses débuts par son oncle Auguste, « intelligent et dévoué collaborateur » d’Émile pendant de longues années[27]. Le premier conflit mondial en 1914 et l’industrialisation de la guerre constituèrent sans aucun doute un puissant facteur de développement pour la maison Mettetal qui bénéficia largement des commandes de l’État lancées pour l’équipement et la mécanisation des armées. Dans l’usine métallurgique de la rue Beautreillis furent notamment fabriquées des fusées d’artillerie[28].

Annuaire de la marine, 1920 (BnF Gallica).

Les ateliers construits sur l’ancien jardin de l’hôtel disparu s’avérèrent vite trop petits pour y développer la production. Pour étendre son usine, Florian Mettetal fit l’acquisition en janvier 1916 du manège Saint-Paul, dont le terrain jouxtait son établissement[29]. D’une superficie de 1700 m², le manège où se donnaient des leçons d’équitation, était surtout célèbre comme salle de réunions politiques. Il pouvait accueillir 5000 personnes, et « son nom avait été mêlé à tous les grands évènements» des années d’avant-guerre « en raison des nombreux et tumultueux meetings qui s’y étaient tenus ». La démolition du manège rendit possible l’extension des « vastes usines de la rue Beautreillis », dans « cet endroit si populeux et si animé de la capitale, où viv[aient] encore tant d’anciens souvenirs ». Mettetal travaillant « pour la défense nationale », c’était, disait la presse, « une acquisition qui aura[it] pour premier résultat de hâter l’heure de la victoire »[30].

La paix revenue, l’expansion de la maison Mettetal était telle qu’en 1919 fut décidée la construction d’une deuxième usine, à Limoges. Elle fut installée dans des bâtiments précédemment occupés par d’importants ateliers de décoration du porcelainier Haviland qui furent largement agrandis. Sous le nom des Établissements Métallurgiques de la Haute-Vienne, on y pratiquait, comme rue Beautreillis, la « fonderie de laiton et de bronze, le laminage à chaud, l’étirage , froid, la tréfilerie, le matriçage, l’étamage, l’usinage, … »[31]. A Paris aussi, à la fin des années 1920 et au début des années 30, l’usine fut remodelée et agrandie avec l’autorisation de l’administration du département de la Seine[32]. De nouveaux bâtiments furent construits, d’autres surélevés[33] et de nouvelles machines achetées, comme ce « balancier à friction moderne spécial pour matriçage à chaud du laiton, pression 200 à 250 tonnes »[34] ou ce moteur diesel de 50 ch accouplé avec une génératrice[35].

Les grandes industries modernes et les centraux, ouvrage édité à l’occasion du centenaire de l’École centrale des arts et manufactures, Paris, Éditions M. de Brunoff, 1929, p.  256 (BnF Gallica).

A Limoges, mais aussi à Paris, les usines Mettetal employaient plusieurs centaines d’ouvriers. Si certains postes nécessitaient des compétences ou une expérience, comme « graveur à façon spécialiste pour outillage d’étampage laiton »[36], chef étampeur-outilleur ou étampeur « capable de pouvoir innover et fabriquer [des] matrices »[37], c’était aussi une main d’œuvre jeune et non qualifiée, à faible coût salarial, qui était recherchée. C’est à des « jeunes gens de 15 à 18 ans » et même « de 13 à 18 ans » que l’entreprise Mettetal proposait de « travailler dans la mécanique ». Se méfiant peut-être des ouvriers parisiens et des exigences qu’ils pouvaient avoir, elle faisait aussi passer ses annonces dans la presse de Seine-et-Marne[38]. Des emplois de bureau, comme un poste de sténo-dactylo « sachant compter », pouvaient être également proposés à « un jeune homme ou jeune fille de 16 à 18 ans »[39].

C’est peut-être à cette annonce que répondit un tout jeune homme de 14 ans, Henri Segal. Fils d’un couple d’immigrés juifs arrivés en 1911 de Turquie et habitant rue des Jardins-Saint-Paul, il a laissé dans sa biographie le témoignage des huit ans passés dans l’usine Mettetal de la rue Beautreillis[40]. Ayant obtenu son certificat d’études et suivi deux années de cours complémentaires, il put travailler au bureau des commandes, réalisant les fiches et le dessin industriel des pièces à fabriquer tout en assurant l’expédition des paquets.

Au début des années 1920, Florian Mettetal et son épouse, avec qui il eut six enfants, quittèrent le quartier pour s’installer dans un lieu plus résidentiel, à Saint-Cloud[41]. Dans l’immeuble de la rue Beautreillis, tout accolé à l’usine, les bureaux de la société occupaient tout le rez-de-chaussée. Un portail situé rue Neuve-Saint-Pierre permettait aux ouvriers et aux véhicules d’accéder directement aux ateliers sans emprunter le porche d’entrée de l’immeuble dont les appartements des étages supérieurs, loués par des familles aisées, devaient pourtant subir bien des désagréments sonores, notamment ceux situés côté cour.

Crises

La crise économique du début des années 1930 ne fut pas sans répercussions sur les affaires de Florian Mettetal. Mais c’est pour une autre raison que le 22 septembre 1933, 400 ouvriers de l’usine de la rue Beautreillis sur les 550 salariés qui y travaillaient furent mis à pied, d’abord pour huit jours, avant d’être finalement licenciés le 30 septembre sans préavis ni indemnités. Protestant contre un projet de nouvelle taxe sur le gaz, Mettetal, suivi par d’autres industriels de la métallurgie, décida en effet le lock-out de son usine en faisant porter la responsabilité sur le gouvernement[42]. La fabrication de « centaines et de centaines de détendeurs qui sont fixés sur les bouteilles de Butane » était alors l’une des activités principales de l’usine[43]. Les industriels voulaient ainsi inciter leurs ouvriers licenciés, transformés par eux en instruments de pression, à « signer des pétitions et désigner des délégations pour les pouvoirs publics ». Le 20 octobre, l’intervention de délégués communistes rue Beautreillis, devant l’usine, alerta les ouvriers licenciés sur les manœuvres de leur patron. Ils empêchèrent Florian Mettetal de réunir ses employés pour leur faire signer une lettre ouverte au député de la circonscription dans laquelle « le patronat, dans un sentiment intéressé et de circonstance, semblait se pencher sur la détresse de ses ouvriers ». « Au comble du cynisme, se révoltait la presse ouvrière, la maison Mettetal pratique le chantage aux impôts en faisant pression sur tous ses ouvriers et ouvrières avec l’arme terrible qu’est pour les familles sans ressources, le débauchage et le chômage »[44].

Les ouvriers furent sans doute en partie réintégrés, le lock-out ne pouvant avoir été une solution à long terme pour Florian Mettetal[45]. C’est par d’autres biais que l’industriel chercha alors à réduire ses coûts et sauvegarder ses marges, tout en luttant contre l’esprit de revendications qui gagnait ses employés dont aucun, avant 1936, n’était syndiqué[46].

Au cours de l’année 1934, Mettétal fit « mettre les femmes sur les machines » où elles étaient « obligées de faire le même travail que les hommes qu’elles remplaçaient, mais avec un salaire horaire de 3 francs 75 au lieu de 5 francs ». En octobre 1934, il licencia 85 ouvriers et ouvrières, payés 5 francs de l’heure et « dont un grand nombre étaient dans la maison depuis plusieurs années », pour les remplacer par des jeunes de 14 et 15 ans qui faisaient le travail pour un salaire horaire de 2 francs à 2 francs 50. La presse communiste dénonçait aussi le fils de Florian Mettetal, membre des Jeunesses patriotes, ligue d’extrême-droite, qui « circulait dans l’usine toute la journée pour renforcer le mouchardage et exiger toujours plus de rendement »[47].

L’Humanité, 5 juin 1936 (BnF RetroNews).

Les tensions sociales qui s’étaient installées à l’usine Mettétal atteignirent leur paroxysme en mai 1936, après les élections qui portèrent au pouvoir le Front populaire. Les ouvriers, aidés par le syndicat CGT de la métallurgie, établirent un cahier de revendications et, recueillant des adhésions, créèrent pour la première fois une section syndicale. A l’instar de ce qui se passait dans tout le pays, l’usine fut occupée, les ouvriers organisant surveillance et tours de garde malgré les protestations de Florian Mettétal « contre cette inadmissible atteinte à la propriété »[48]. Les accords de Matignon signés le 7 juin entre Léon Blum et le patronat mirent progressivement fin aux grèves et à l’occupation des entreprises. L’usine de la rue Beautreillis fut occupée au moins jusqu’au 12 juin[49], Florian Mettetal finissant par céder aux revendications de son personnel, comme l’augmentation des salaires. Celui de notre témoin des évènements, Henri Segal, passa ainsi de 440 à 770 francs par mois[50].

Le Populaire, 7 juin 1936 (BnF RetroNews).

Un an après, à la suite de nouvelles grèves, Florian Mettetal ferma son usine, imposant un lock-out aux ouvriers tout en maintenant ses bureaux ouverts[51]. Les affaires de l’industriel n’étaient guère florissantes. L’usine de Limoges avait fermée[52]. Les effectifs de l’usine de la rue Beautreillis avaient fondu, passant de 700 en 1933 à 180 en 1936, puis à 100 en septembre 1938, époque où la direction pratiquait « un système de mise à pied par roulement » avec un horaire hebdomadaire réduit à 32 heures[53]. L’industriel parvenait cependant à sauvegarder sa passion pour la chasse ; en décembre 1937, il obtenait pour 6 050 francs l’adjudication des droits de chasse de forêts domaniales de Seine-et-Marne, la forêt de la Choqueuse, située à quelques kilomètres de son domaine de Sâacy[54].

Une fourgonnette Citroën B15 garée devant le 17-19 rue Beautreillis transformé en poste de secours durant les années de guerre, en 1939-1940 ou en 1944-1945.

Guerre et après-guerre

La Dépêche, 7 juillet 1940 (BnF RetroNews).

En 1940, au moment de l’exode, Mettetal ferma son usine parisienne et se replia vers le Sud, dans les locaux de son usine de Limoges qu’il avait conservés après sa fermeture, cela en attendant d’avoir « la possibilité de remettre en marche [son] usine de Paris »[55]. Si Florian Mettetal retourna ensuite en zone occupée[56], nous ignorons dans quelle mesure les ateliers de la rue Beautreillis poursuivirent leur activité durant l’occupation et si l’usine, qui travaillait pour la défense nationale avant la guerre, eut à soutenir par sa production l’effort de guerre allemand.

Ce soir, 8 septembre 1948 (BnF RetroNews).

A la Libération en tout cas, Florian Mettetal conserva son entreprise dont les affaires reprirent doucement, mais sans doute avec difficulté. Les ouvriers et leur syndicat CGT qui, en 1946, avaient déjà accepté de travailler 48 heures au lieu de 40 pour « produire, dans l’intérêt national », et cela malgré « des salaires de famine », étaient même prêts à signer un « accord pour faire 54 heures ». Mais ils exigeaient pour cela que plus de cent ouvriers soient embauchés avec des salaires décents pour occuper les « tours qui ne [faisaient] rien »[57].

France-soir, 7 septembre 1950 (BnF RetroNews).

Les effectifs de l’usine comptaient au moins 250 ouvriers en 1947, et les nombreuses offres d’emplois publiées dans la presse par les établissements Mettetal à la fin des années 1940 et au début des années 1950 montrent que l’activité de l’usine s’est maintenue.

Mémorial des services chimiques de l’Etat, publié par les soins du Laboratoire central des services chimiques de l’Etat, 1947, p. 10 (BnF Gallica).

Florian Mettetal mourut le 16 février 1958, à Jouarre, près de son domaine de Sâacy[58], et l’usine de la rue Beautreillis cessa son activité au début des années 1960. Le terrain qu’elle occupait fut acquis au prix de 1 600 000 francs par la Ville de Paris en 1964 pour permettre l’extension de l’école communale de la rue Neuve-Saint-Pierre[59].

Les hautes cheminées cessèrent de cracher leurs noires fumées, les presses et les marteaux se turent, les odeurs de fonte brûlante et de graisse s’estompèrent et c’en fut fini des allers et venues des ouvriers. L’orgueilleuse façade de l’immeuble construit au 17-19 rue Beautreillis par Émile Mettetal cessa de camoufler une usine dont même le souvenir s’est effacé de la mémoire du quartier. Et loin de l’histoire séculaire du lieu, c’est par le biais d’un évènement fortuit, la mort en ses murs du chanteur des Doors Jim Morisson, en 1971, que l’immeuble du 17-19 rue Beautreillis, devenu une étape majeure et persistante d’un parcours mémoriel, s’est vu conférer de nos jours la célébrité qu’on lui connait.

Sur cette vue aérienne de mauvaise qualité des années 30, on a indiqué les emplacements de l’immeuble du 17-19 rue Beautreillis et de l’usine implantée derrière avec ses toitures à sheds.

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[1] Anticipant la réponse à sa demande déposée en juin. L’autorisation à bâtir est accordée le 14 novembre 1902 pour une construction de 6 étages (Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, 15 novembre 1902) et pour une annexe à la construction existante (Bulletin…, 15 décembre 1902).

[2] Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, 13 mai 1900.

[3] Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, 8 février 1900.

[4] Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, 17 janvier 1906.

[5] La Construction moderne, 15 mai 1909.

[6] Fiche Édouard Martin dans la base Agorha de l’INHA.

[7] Fiche Léon Ginain dans la base Agorha de l’INHA. Léon Ginain Grand prix de Rome en 1852, avait été un candidat malheureux face à Garnier dans le concours d’architecture pour l’Opéra de Paris en 1860. On lui doit notamment l’église Notre-Dame des Champs, boulevard du Montparnasse.

[8] Son cabinet fut situé d’abord rue Saint-Placide, en 1876, puis il le transféra 123 rue de Rennes en 1900 ou 1901 (Dictionnaire par noms d’architectes des constructions élevées à Paris aux XIXe et XXe siècles. 1ère série (1876-1900), T. 3, dir. par Michel Fleury, Paris, Service des travaux historiques, 1993, p. 85-86).

[9] Claude Mignot, Grammaire des immeubles parisiens, Paris, Parigramme, 2009, p.120.

[10] Claude Mignot, op. cit., p. 130. Voir notamment les réalisations d’Édouard Martin 125 et 125 bis avenue Parmentier, deux immeubles encadrant l’entrée de la rue Auguste Barbier (constr. 1891) ; ou la même configuration au 140 et 142 même avenue, à l’entrée de la rue Abel Rabaud (1892), constructions relevées dans Dictionnaire par noms d’architectes…, op. cit., p. 85-86).

[11] E. Leclerc, Encyclopédie d’architecture, 1885, cité par Claude Mignot, op. cit., p. 130.

[12] Le Siècle, 13 août 1909.

[13] Journal de Seine-et-Marne, 14 juillet 1914.

[14] Journal de Seine-et-Oise, 2 décembre 1898 et 20 janvier 1899.

[15] Il est né en 1883 (Journal de Seine-et-Marne, 14 juin 1912).

[16] Son nom est cité comme propriétaire au côté de son époux du 17 rue Beautreillis dans un acte publié dans le Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris du 6 mars 1905. Elle décéda à Genève, à l’âge de 79 ans, en 1933 (Le Journal, 10 octobre 1933).

[17] Le Siècle, 13 août 1913.

[18] La pêche illustrée : revue du Fishing-Club de France, 1er octobre 1921.

[19] Dès 1905, une « 12 HP [12 ch.] en parfait état, glace avec dais 6 places genre tonneau » était en vente 6 000 francs. En 1949, c’est une Peugeot 402 légère en bon état (L’Aurore, 18 octobre 1949). L’année suivante, une Panhard Dynamic X77 (L’Aurore, 20 février 1950). Puis une Peugeot 203 l’année d’après (L’Aurore, 13 janvier 1951).

[20] Recensement de 1911 (Fiche Saâcy-sur-Marne dans Wikipedia).

[21] Journal de Seine-et-Marne, 28 avril 1909.

[22] Journal de Seine-et-Marne, 14 juin et 26 juin 1912.

[23] Le Gaulois, 2 juillet 1912. Le décès d’Émile Mettetal, « industriel, 17 rue Beautreillis » est enregistré dans les Tables des décès et des successions, aux Archives de Paris (DQ8 2312), avec le prénom Georges, à la date du 30 juin 1912.

[24] Louise, fille d’Émile et de Victorine Fouirnier avait épousé en 1904 Joseph-Louis-Arsène Le Cherpy (1874-1923), alors chef de cabinet du directeur de l’Imprimerie nationale (L’Écho de Paris, 25 avril 1904). Devenu chef-adjoint du cabinet du Garde des Sceaux Guyot-Dessaigne, il fut élu député du Calvados en novembre 1907 et garda son siège jusqu’en 1919 (Dictionnaire de biographie française, t. 20, Paris, Letouzey et Ané, 2011, p. 416).

[25] Le Gaulois, 4 juillet 1912.

[26] G.-Roger Sandoz (1967-1943) , officier la Légion d’honneur, était notamment l’auteur, avec Victor Champier, d’une histoire du Palais royal selon des documents inédits, Paris, Société de propagation des livres d’art, 1900. Il fut longtemps secrétaire général de la Société d’encouragement de l’art et de l’industrie. Ce mariage révèle aussi les liens étroits entre la famille Mettetal et le monde politique. Outre son beau-frère, le député Le Cherpy, l’autre témoin de Florian Mettetal était Victor Vermorel (1848-1927). Élu sénateur du Rhône en 1909, c’était un important industriel dans la construction de machines et de moteurs agricoles. Les témoins de son épouse étaient son grand-oncle, Ernest Levallois (1933-1912), maire du 2e arrondissement, et Alfred Massé (1870-1951), député de la Nièvre, alors vice-président de la Chambre des députés et qui fut entre 1911 et 1913 plusieurs fois ministre du commerce et de l’industrie (témoins nommés dans Le Triboulet, 4 août 1912. Information biographiques relevées dans base Sycomore de l’Assemblée nationale). Ces hommes politiques se classaient du côté des radicaux et des radicaux-socialistes.

Florian Mettetal et Simone Sandoz eurent de nombreux enfants : Franck (1913), Françoise (1915), Nelly (1916), Philippe-François (1920), Jean-Claude (1921) et Hubert-Francis (1923) (avis de naissance relevés dans Le Figaro et Le Gaulois).

[27] Auguste Mettetal mourut en 1915 (Le Gaulois, 4 août 1915).

[28] Mentionné dans Les grandes industries modernes et les centraux, ouvrage édité à l’occasion du centenaire de l’École centrale des arts et manufactures, Paris, éd. De Brunoff, 1929, p. 256.

[29] La Loi, 23 janvier 1916.

[30] Le Gaulois, 15 février 1916 ; Le Figaro, 15 février 1916.

[31] Ministère de la Culture – Base POP (plateforme ouverte du patrimoine) – Notice IA87000187

[32] L’Usine, 25 octobre 1929.

[33] Demandes en autorisation à bâtir (Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, 19 juin 1930 et 11 décembre 1932).

[34] L’Usine, 22 mars 1929.

[35] L’Usine, 23 mai 1930.

[36] Annonce parue dans Le Petit Parisien, 31 mai 1921.

[37] Annonce parue dans Le Petit Parisien, 24 janvier 1919.

[38] Annonces parues dans le Journal de Seine-et-Marne, 14 avril 1923, et L’Auto, 3 juin 1926. Les annonces de recrutement pour l’usine Mettetal de la rue Beautreillis sont nombreuses dans la presse des années 1920.

[39] Le Petit Parisien, 5 septembre 1928.

[40] Le récit autobiographique d’Henri Segal est publié sur le site de la FSGT (Fédération sportive et gymnique du travail) de Paris, dont il a été un des dirigeants. La FSGT a été créée en 1934 par la fusion des fédérations sportives liées au Parti communiste et à la SFIO, toutes deux engagées dans la promotion du sport dans les milieux populaires.

[41] L’Écho de Paris, 26 avril 1927.

[42] L’Humanité, 5 octobre, 20 octobre et 21 octobre 1933. Le Populaire, 21 octobre 1933.

[43] Henri Segal, op. cit., p. 10.

[44] Paris demain : organe de la démocratie socialiste du XXe arrondissement, 28 octobre 1933.

[45] Ceux des ouvriers qui poursuivirent Mettetal pour renvoi sans préavis après une semaine de mise à pied et sans certificat nécessaire à une indemnité chômage obtinrent sa condamnation. L’industriel dût payer la semaine de préavis plus les dépens du procès (L’Humanité, 4 mars 1935).

[46] Henri Segal, op. cit., p. 15.

[47] L’Humanité, 3 octobre 1934.

[48] Henri Segal, op. cit., p. 15.

[49] L’Humanité, 12 juin 1936.

[50] Henri Segal, op. cit., p. 15.

[51] Henri Segal, op. cit., p. 16. Bien que travaillant dans les bureaux, Henri Segal, qui avait marqué sa solidarité avec les ouvriers de l’usine en faisant grève, fut alors licencié.

[52] La Dépêche du Berry signalait le 13 janvier 1938 l’usine Mettétal parmi les « usines importantes de la ville [de Limoges] devenues disponibles par suite de fermeture ».

[53] Le Populaire, 1er septembre 1938.

[54] L’Informateur de Seine-et-Marne, 7 décembre 1937.

[55] La Dépêche, 7 juillet 1940.

[56] Le mariage de son fils Jean-Claude eut lieu dans sa propriété de Seine-et-Marne le 1er août 1942 (Le Matin, 14 août 1942).

[57] La Vie ouvrière, 4 juillet 1946.

[58] Archives de Paris, d’après acte de naissance de Florian Mettetal, n° 5062, Paris 11e arr.

[59] Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, 17 décembre 1964. Un immeuble ouvrant sur la rue Neuve-Saint-Pierre fut construit dans les années 1980 sur la parcelle qui fut autrefois le jardin de l’ancien hôtel du 17-19 rue Beautreillis, et des terrains de sports et des gymnases prirent la place des ateliers qui, en 1916, avaient remplacé l’ancien manège Saint-Paul.

Auteur : Gaspard Landau

Sous le nom de Gaspard Landau, j'explore l'histoire de ce bout du Marais qui, sur les bords de Seine, s'est érigé sur les fondations de l'ancien hôtel Saint-Pol. A côté de cela, sous le nom d'Olivier Siffrin, je suis bibliothécaire à la Bibliothèque nationale de France.

Une réflexion sur « Histoires d’immeuble… Le 17-19 rue Beautreillis – 5 »

  1. Merci Gaspard pour toutes ces histoires passionnantes et qui ont du vous demander bien des heures de recherches.
    Le résultat est passionnant.
    Pascal Duchénois

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