Le n° 7 rue Beautreillis, situé à l’angle de la rue Charles V, est l’une des maisons les plus belles de la rue, en tout cas l’une des plus originales et sans doute la plus emblématique.
Construite à la charnière des XVIe et XVIIe siècles[1], elle compte parmi les plus anciennes de la rue et a conservé beaucoup de ses caractéristiques originales.
En 1852, les fonctionnaires du cadastre la décrivaient ainsi : « Cette propriété a son entrée par une porte cochère. Elle se compose d’un corps de bâtiment simple en profondeur situé au fond d’une cour avec deux ailes de bâtiment. Celle à droite est semi double et forme l’angle avec la rue Neuve-Saint-Paul [aujourd’hui Charles V], celle à gauche a une terrasse en avant. A droite de la porte cochère, il y a un pavillon. Le tout élevé sur caves d’un rez-de-chaussée, deux étages carrés, troisième lambrissé avec parties en greniers. A la suite, petite cour avec appentis au fond élevé sur terre-plein d’un rez-de-chaussée et 1er étage par une échelle de meunier extérieure.
Construction en assez bon état, en pierres et moellons, desservie par deux escaliers, dont celui principal est clair et facile, et celui de dégagement sombre.
Boutiques et locations bourgeoises ».
Dans l’Atlas Vasserot[2] des années 1810-1836, le plan de la maison du 7 rue Beautreillis, alors 7 rue Gérard Beauquet[3], est conforme à la description qui en sera faite en 1852.
A la fin du XIXe siècle, quand Atget photographie les vieilles maisons de Paris, c’est le 7 rue Beautreillis qu’il immortalise, et notamment son escalier à balustres de bois[4]
En 1846, les propriétaires du n° 7 étaient, d’après le relevé cadastral, « Antoine-Henri Denis et consorts », dont l’adresse était alors 19 place des Vosges[5].
Les frères Denis, Antoine-Henri et François, ou selon les annuaires du temps Denis « fils aîné » et Denis « fils jeune » (mais qui d’Antoine-Henri ou de François était l’aîné… ?) ont occupé la maison de 1838 et jusqu’à 1845, au moins pour leur office, avant de partir place des Vosges. Ils étaient tous deux avocats, et l’aîné fut promu à la Cour royale en 1842[6].
En 1876, eux ou leurs descendants étaient toujours propriétaires du 7 rue Beautreillis mais habitaient à cette époque juste en face, au n° 6[7].
C’est à partir de 1857 qu’apparaissent à cette adresse des commerces, en tout cas si on se réfère aux almanachs et autres annuaires, et les marchands de vins occupèrent longtemps les lieux. Juillard, marchand de vins et d’eau-de-vie en gros y tint commerce jusqu’en 1862, et fut remplacé en 1864 par Duchaussoy, dont le 7 n’est que le domicile jusqu’en 1870. Mais dès 1869, Mme Catala, marchande de vins en gros y a tenu boutique, et ce jusqu’en 1874, avant que ne lui succéda l’année suivante le sieur Bernard jusqu’en 1879. De 1860 à 1864, Gardien, tourneur sur bois, occupa aussi un atelier dans la maison. Puis tout commerce ou activité artisanale semble avoir déserté le lieu, jusqu’en 1915 au moins, dernière date de nos relevés.
Par contre, des représentants de métiers artistiques vinrent s’y établir, comme Melle Gourin, professeur de piano de 1894 à 1898, et en 1900, Guénardeau, graveur sur métaux et F. Houbron, « peintre-artiste ».
Peut-être s’agit-il de Frédéric-Anatole Houbron, peintre de la vie parisienne, né à Banyuls-sur-Mer en 1851 et mort à Perpignan en 1908.
Quant à ce Guénardeau, serait-ce Som-Charles Guénardeau, né en 1866, et sculpteur d’objets typiques d’Art nouveau, comme cette boîte en bronze ?[8]
On remarquera aussi qu’entre 1859 et 1869, vécut au 7 rue Beautreillis la comtesse de La Valette[9]. Fut-elle l’épouse du comte de La Valette qui, a cette même époque, avait entrepris, après l’avoir acquis en 1857, une rénovation de fond en comble et assez fantasque de l’hôtel voisin de Fieubet, quai des Célestins ? Après y avoir englouti sa fortune, ses créanciers s’en saisirent en 1865[10]
La maison du 7 rue Beautreillis faillit peut-être pourtant bien disparaître au début du XXe siècle. En janvier 1911, un membre de la commission municipale du Vieux Paris déposa la proposition de prendre des photographies de « l’entrée, de la cour et de l’escalier d’une vieille maison sur le point d’être démolie, située Beautreillis, n° 7 »[11]. Ce triste projet de destruction fut visiblement et fort heureusement abandonné.
[1] « Vieille maison du XVIIe siècle… » selon G. Pessard, Nouveau dictionnaire historique de Paris, Paris, E. Rey, 1904, p. 75 ; maison « de 1596 » dans Jacques Hillairet, Dictionnaire historique des rues de Paris, Editions de Minuit, 1960, p. 168.
[2] Archives de Paris, plans parcellaires, cadastre de Paris par îlot, dit Atlas Vasserot (1810-1836).
[3] Sur la renumérotation des maisons de la rue Beautreillis après l’incorporation de la rue Gérard Beauquet, voir l’article du 8 octobre 2017
[4] http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10517807x.r=beautreillis?rk=21459;2 http://bibliotheque-numerique.inha.fr/idurl/1/3283
[5] Archives de Paris, D1P4 93
[6] Annuaire général du commerce, de l’industrie, de la magistrature et de l’administration…, Paris, Firmin-Didot, volumes des années 1838 à 1845.
[7] Archives de Paris, D1P4 94
[8] https://www.google.fr/search?q=guenardeau+sculpteur&client=firefox-b&dcr=0&tbm=isch&tbo=u&source=univ&sa=X&ved=0ahUKEwjG0ODUloTXAhUEWRoKHf8ICHYQsAQILA&biw=1920&bih=971
[9] Annuaire général du commerce, de l’industrie, de la magistrature et de l’administration…, Paris, Firmin-Didot, volumes des années 1859 à 1869.
[10] Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, 16 mars 1918.
[11] Commission municipale du Vieux Paris – Procès-verbaux, séance du 4 janvier 1911, p. 14.
Très intéressant, comme les autres articles de votre blog que j’ai récemment découvert. Merci.
Savez-vous si l’escalier à rampe de bois, photographié par Atget, existe toujours? C’est un point qui m’intrigue car l’escalier principal de notre immeuble, rue Vieille du Temple, devait presenter un aspect très semblable à celui-ci à l’origine.
La partie de notre rampe entre le rez-de chaussée et le premier étage a été remplacée par du fer forgé lors d’une rénovation au début du XVIIIè siècle, par, semble-t-il, Germain Boffrand. Les minces étançons qui remplacent les piliers de bois ont bien du mal à supporter la charge et montrent un certain fléchissement qui a inquiété la copropriété il y a quelques années.
Merci encore pour le blog.
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Bonsoir,
Tout d’abord, merci de l’intérêt que vous portez à mes petits articles que j’espère utiles pour l’histoire du quartier.
Pour ce qui est de l’escalier du 7 rue Beautreillis, il existe bien encore et a fait l’objet en 1963, avec d’autres éléments de cette maison, d’un classement à l’Inventaire des Monuments historiques. Je me permets de vous indiquer ce lien http://www.culture.gouv.fr/public/mistral/merimee_fr?ACTION=CHERCHER&FIELD_1=REF&VALUE_1=PA00086331
Il y a de nombreuses photos de l’escalier dans son état en 1944 qui pourront peut-être vous servir pour les recherches que vous menez sur celui de votre immeuble.
Merci.
Gaspard Landau
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Bonjour, merci pour cet article fort intéressant qui me touche personnellement. En effet, mon arrière-arrière grand-père est né le 25 janvier 1850 au N°7 rue Beautreillis. Ses parents, passementiers et couturiers y étaient domiciliés depuis au moins 1848. Auriez-vous aperçu au cours de vos recherches une mention de la famille Richez ? Bien à vous.
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Bonjour,
Merci pour votre message. Je vous réponds par mail. Bien à vous.
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