
Vaste parcelle de 695 m² [1], la propriété sise au n°6 du passage Saint-Pierre comprend, en plus de l’immeuble d’habitation bâti sur la voûte qui fait angle entre les deux parties du passage, un terrain issu de l’ancien cimetière Saint-Paul. Sur le cadastre de Paris par îlot, dit Atlas Vasserot, établi entre 1830 et 1850, aucune construction en dur n’apparaît, hormis dans la partie longeant sa limite nord. On peut supposer que hangars, magasins et baraques en bois ont pu progressivement être bâtis sur une grande partie de cet espace qualifié de jardin dans la description du sommier foncier rédigé en 1809[2]. Le plan parcellaire dressé dans la dernière partie du siècle révèle que de nombreuses constructions occupent désormais tout le terrain. Cet ensemble de bâtiments constitue le lavoir Saint-Paul qui a fonctionné jusqu’à sa démolition en 1910-1911. A quelques mètres de celui-ci, à l’ombre des séchoirs et dans le bruit des battoirs frappant le linge, des élèves ont fréquenté ici entre 1850 et 1884 l’une des nombreuses institutions scolaires installées alors dans le passage Saint-Pierre.
Une école parmi d’autres
Au cours du XIXe siècle, plusieurs maisons d’éducation et établissements scolaires s’installent passage Saint-Pierre. Ils sont les héritiers de ceux créés sous l’Ancien régime autour de l’ancienne église Saint-Paul, comme l’école de charité connue sous le nom de Communauté des jeunes ouvrières indigentes de Saint-Paul, ouverte vers 1760 par le curé de la paroisse[3] dans la maison du n° 4 du passage. Parmi d’autres établissements, une « école primaire » apparaît dans les annuaires en 1850[4] avec comme adresse le n° 6 passage Saint-Pierre et comme maître d’institution ou instituteur, un dénommé Ferré. Elle est immédiatement voisine de l’ancienne Communauté des jeunes ouvrières indigentes, devenue dans les années 1840 école primaire supérieure de jeunes filles, et de l’autre côté, de l’école congréganiste établie au n° 8 du passage depuis les années 1840.
C’est sous l’autorité d’un dénommé Boyreau que se poursuit l’activité scolaire au n° 6 entre 1860 et 1862, et il a lui-même comme successeur les instituteurs A. Levé jusqu’en 1870, puis Vallée jusqu’en 1879. Une « pension de demoiselles » dirigée par Mademoiselle Béraud prend la suite avant de fermer après 1884[5].
L’implantation de l’école
Nous avons supposé que la partie de la maison où est installée cette institution correspond aux constructions formant un bâtiment long au nord du jardin. La comparaison avec le plan de l’ancien cimetière montre que ce bâtiment est implanté exactement dans la ligne des anciens charniers. Ceux-ci ont été soit démolis soit intégrés dans les nouvelles constructions. Attenante au côté de la maison construite sur la voûte, dont elle forme comme une aile, cette partie du bâtiment tout en longueur n’est pas spécifiquement distinguée dans les descriptions sommaires et générales de la propriété établies entre 1862 et 1901.
En 1862, « en prenant par l’entrée particulière à droite de l’entrée principale » de l’immeuble construit sur le passage voûté, on accède à « 3 salles pour classes et autre salle au fond de la cour. Par petit escalier intérieur, à l’entresol 2 cabinets, 2 pièces et cabinet. Au 1er étage, 3 pièces et grenier ». Cette description cadre avec le tracé du bâtiment du plan Vasserot. L’école occupe également un autre bâtiment, non représenté sur ce plan car peut-être construit en charpente, ou alors élevé ultérieurement à la période 1830-1850. Mais il est présent dans la description sommaire de la propriété de 1862 : « à droite de l’entrée de la cour, dans le jardin, pavillon simple élevé sur terre-plein d’un rez-de-chaussée et d’un premier étage ». Également louée à MM. Levé puis Vallée, cette maison comprend « 3 pièces au rez-de-chaussée et par escalier extérieur, [ ill.], cuisine et 2 pièces ».

Au cours des années qui suivent, et avant 1876, des modifications et des agrandissements touchent l’ensemble des bâtiments composant l’école tenue par Levé, puis par Vallée[8]. Le rez-de-chaussée du bâtiment long construit sur les anciens charniers se compose désormais d’une antichambre, de trois salles de classe et d’un bureau. Les salles de classes sont éclairées par 4 ou 5 fenêtres. Par un couloir qui se situe « au milieu du bâtiment », on accède à un 1er étage où l’on trouve trois cabinets, un lavabo et une lingerie. Deux étages supplémentaires ont été ajoutés : un second comprenant un cabinet, une pièce à feu et une sans feu, et un troisième mansardé avec deux cabinets. Le pavillon, tout en conservant sa physionomie, a un agencement intérieur différent ; un bureau, une salle à manger et une cuisine se partagent le rez-de-chaussée, et c’est toujours par l’escalier extérieur qu’on monte à l’étage occupé par un cabinet et une salle de dessin ouvertes sur trois fenêtres.
La fermeture de l’école
La fin des années 1870 voit l’institution péricliter. L’association de Vallée avec deux institutrices, une demoiselle Vallée et une demoiselle Bérot, chaque partie prenant à sa charge 1400 francs de loyer annuel, n’empêche pas la fermeture progressive de l’école qui perd sans doute ses élèves. Le bail est révisé et une partie des locaux est occupée pour d’autres activités par un marchand de mercerie au détail et un négociant en parfums. L’école disparaît en 1884.
En 1892, la moitié du bâtiment long est louée par la Société de secours mutuel de la loi rabbinique, dont le président se nomme Navacheski, et l’année suivante, une synagogue est établie dans les lieux[9]. Quant au pavillon à droite de l’entrée, il est abattu en 1888 pour permettre l’agrandissement du lavoir. Dans les années qui suivent, jusqu’à la démolition de l’ensemble des constructions composant le n° 6 du passage Saint-Pierre en 1911, le bâtiment long bâti sur les anciens charniers est partagé entre quatre locations.

Les informations manquent pour qualifier plus exactement cette école installée au 6 passage Saint-Pierre. Peut-être est-elle liée à l’école primaire supérieure de jeunes filles, installée juste à côté, au n° 4. Mais celle-ci est transférée rue Poulletier en 1868[10] et l’école du n° 6 continue son activité. On notera aussi que les années 1860-1862 correspondent pour cette dernière, en plus d’un changement d’instituteur lorsque Boyreau remplace Ferré, à une nouvelle dénomination, celle d’Ecole communale[11], sans que l’on puisse déterminer la nature des liens avec l’administration municipale.
En mai 1879[12], la transformation en école laïque de l’école congréganiste voisine, installée depuis les années 1840 au n° 8, et les lois Ferry sur l’école gratuite puis obligatoire des années 1881 et 1882 ont sans aucun doute mis à mal l’économie de l’institution scolaire du 6 passage Saint-Pierre. A cela s’ajoute la proximité immédiate du lavoir, en pleine expansion sur le terrain qu’il partage avec l’école. Les problèmes d’hygiène liés à son activité et les prémisses d’une épidémie de choléra en 1884 ont sans doute précipité la fermeture de l’établissement scolaire.
(A suivre)
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[1] Archives de Paris, 3589W1653 Casier Sanitaire Pass. Saint-Pierre et rue Neuve Saint-Pierre, 1877-2007.
[2] Archives de Paris, DQ18 263 Sommier foncier 1809-1859.
[3] J.-A. Dulaure, Histoire physique, civile et morale de Paris, Paris, Guillaume et Cie, Tome 9, 1829, p. 60-61. Duquesnoy, Rapport au Conseil général des hospices sur l’administration des secours à domicile, à l’époque du 1er germinal an XI [1802-1803], p. 45. Les autres écoles du passage feront par la suite l’objet d’articles particuliers.
[4] Annuaire général du commerce, de l’industrie, de la magistrature et de l’administration, ou almanach des 500.000 adresses de Paris, des départements et des pays étrangers, Paris, Firmin-Didot frères, années correspondantes.
[5] Annuaire général…, op. cit., années 1848 à 1856 ; Annuaire-almanach du commerce, de l’industrie, de la magistrature et de l’administration : ou almanach des 500.000 adresses de Paris, des départements et des pays étrangers, Paris, Firmin Didot et Bottin réunis, années correspondantes.
[6] Archives de Paris, D1P4 1055 Calepin des propriétés bâties, années 1862, 1876 et 1901.
- [7] Archives de Paris – Atlas Vasserot et Plan parcellaire 1860
[8] Ces modifications sont inscrites sur ce même calepin de 1862 à la suite ou à la place des descriptions établies cette année-là, rayées ou modifiées.
[9] Sur l’histoire de l’immigration juive à Paris et en France, voir la synthèse de Patrick Girard, « Les immigrations juives », Hommes et migrations, juil.-sept. 1988, n° 1114, p. 49-56. « Rebutés par la xénophobie et l’austérité des institutions juives, [les immigrants venus d’Europe de l’Est à la fin du XIXe siècle] créèrent leurs propres réseaux de synagogues, d’oratoires et d’associations de bienfaisance » (p. 51) https://www.persee.fr/doc/homig_1142-852x_1988_num_1114_1_1193
[10] Octave Gréard, Éducation et instruction, Paris Hachette, 1889, Tome 1, p. 275-277.
[11] Annuaire-almanach… op. cit,, années 1860-1862.
[12] La Lanterne, 19 mai 1879, Le Temps, 20 mai 1879.