Histoires de quartier… La rue Neuve-Saint-Pierre et l’ancien passage Saint-Pierre. 7 – Le 2-4 passage Saint-Pierre, immeuble municipal

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Le 2-4 passage Saint-Pierre et sa cour. La crèche était située dans la partie droite. (Phot. Bibliothèques de la Ville de Paris)

Dans le passage Saint-Pierre, à l’ombre du clocher massif de l’église Saint-Paul, vivait et travaillait avant la Révolution tout un monde de religieux et de laïcs. Chemin d’accès au cimetière Saint-Paul, le passage était bordé dans ses deux parties de maisons que le conseil de fabrique, composé des prêtres de l’église et de laïcs éminents de la communauté paroissiale, se chargeait de louer ou d’affermer pour en tirer les revenus nécessaires à l’entretien de l’église et de ses servants. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, ces ressources furent à l’origine de la création d’un établissement appelé Communauté des jeunes ouvrières indigentes de Saint-Paul [1] qui s’installa dans une maison située dans la partie du passage donnant sur la rue Saint-Antoine. La vocation caritative de la maison d’éducation empêcha que le lieu où elle logeait fût vendu sous la Révolution, après la nationalisation des biens du clergé, à l’instar de ce qu’il advint pour les autres bâtiments et terrains entourant l’église Saint-Paul, qui elle-même tombait sous la pioche des démolisseurs. C’est l’histoire du 2-4 passage Saint-Pierre, devenu propriété municipale et maison vouée à l’éducation jusqu’à sa démolition au début du XXe siècle que nous allons raconter ici.

La maison de charité

Fondée vers 1760[2] à l’initiative de l’abbé Gueret, curé de la paroisse Saint-Paul mort en 1764, la Communauté des jeunes ouvrières indigentes comptait à l’origine vingt jeunes filles, dix orphelines de père ou de mère[3] auxquelles le curé attribuait une place gratuite, et dix autres pensionnaires. Vivant chichement de revenus issus des biens de l’église et de quelques rentes léguées par son fondateur, les jeunes ouvrières bénéficiaient aussi en partie des fruits de leur travail et suivaient en parallèle une instruction dispensée par une institutrice séculière nommée madame Marc[4]. Lecture, écriture, calcul, religion et couture constituaient « le cercle très restreint des études »[5].

Confiée aux sœurs de la Charité de la paroisse à la mort de l’abbé Gueret, la Communauté des jeunes ouvrières survécut à la disparition de l’église Saint-Paul et à la dissolution des congrégations au moment de la Révolution, et passa sous l’autorité de la Municipalité. Sa direction fut confiée en 1791 à la sœur Lucie Crosnier qui dirigea l’établissement jusqu’en 1805.

Dépossédée de ses rentes ecclésiastiques, la Communauté reçut des secours de la Commission des Hospices avant que son organisation ne fût réformée par un arrêté du Ministre de l’Intérieur du 15 septembre 1802. Le nombre de places fut fixé à quarante-huit, dont « 24 gratuites, 12 à demi-pension, 12 en payant une pension entière », et elles furent accordées « de préférence aux enfants des militaires et des fonctionnaires publics, et de ceux qui auraient été les victimes de quelques évènements funestes ». L’âge requis pour entrer était de cinq ans au moins et on quittait la maison à l’âge de dix-sept ans. Les postulantes devaient produire un certificat constatant qu’elles avaient déjà contracté la petite vérole ou qu’elles avaient été vaccinées. La pension complète coûtait 300 francs, la demi-pension 150 francs, et « quelques effets mobiliers »[6] devaient être fournis. Pour aider au fonctionnement, un fonds annuel de 10 000 francs était assigné par le Ministère pour « fournir aux dépenses de la maison ».

Outre l’apprentissage de la lecture, de l’écriture, de la grammaire et du calcul, « le travail était un des principaux objets » de l’éducation des jeunes pensionnaires de la maison de charité : raccommodage et entretien de leur linge,  confection de leurs vêtements, filature du chanvre et du lin « propres à tricoter leurs bas », entretien des intérieurs et « service relatif au ménage ». L’instruction religieuse était assurée par le curé, et si madame Crosnier, en son temps, voulut introduire « l’étude de quelques arts agréables » par des maîtres salariés venus du dehors, le coût de ces leçons avait vite poussé le Ministre et le Conseil des Hospices à les supprimer[7].

Jusque dans les premières années du XIXe siècle, on trouvait aussi dans la maison de Bienfaisance du passage Saint-Pierre, en plus de l’établissement d’éducation, « une marmite pour le bouillon des malades et un fourneau pour les soupes économiques » ainsi qu’une « petite pharmacie » tenue par les Sœurs[8].

L’école primaire supérieure

La mission caritative de la maison du 2-4 passage Saint-Pierre se maintint jusqu’à la fin des années 1830, époque où de grandes réformes, et notamment la loi Guizot du 28 juin 1833, organisèrent l’enseignement public en France. Le ministre, constatant l’absence d’échelon intermédiaire entre l’enseignement primaire élémentaire et les prestigieuses mais coûteuses études dans les collèges et lycées de l’Etat, souhaitait que les élèves issus de familles modestes, mais « sans gêne trop sévère », puissent s’élever au-dessus des premiers grades pour atteindre un niveau d’éducation plus approprié à leur position sociale. Pour cela, en plus des écoles primaires élémentaires que chaque commune devait entretenir, les chefs-lieux de département et les villes de plus de six mille habitants étaient tenus d’ouvrir une école primaire supérieure (à peu près l’équivalent de nos collèges actuels)[9], réservée aux garçons. Il fallut attendre la loi du 23 juin 1836 pour que fut mise en place l’organisation de l’enseignement pour les filles, avec la création, à côté d’écoles primaires élémentaires, d’écoles primaires supérieures[10].

L’obligation faite aux communes d’ouvrir ces écoles primaires supérieures, pour garçons ou pour filles, fut loin d’être partout appliquée et resta « à l’état de vœu platonique, sauf dans les grandes villes »[11]. La Ville de Paris, après avoir créé avec quelques années de retard une première école destinée aux garçons en 1839, rue Neuve-Saint-Laurent[12], décida en 1842 d’en fonder une pour filles et de l’installer dans l’établissement du passage Saint-Pierre[13], cédé par l’Assistance publique à l’administration municipale[14].

Le Conseil municipal de Paris vota en août 1842 les allocations nécessaires pour assurer une ouverture en octobre suivant et une session extraordinaire de la commission primaire supérieure, convoquée à la Sorbonne du 1er au 8 octobre pour « s’assurer du choix convenable pour la direction » de ce nouvel établissement[15], nomma Mme Pelleport à sa tête. L’effectif de l’internat fut fixé à 45, puis 48 élèves qui acquittaient une pension annuelle au « taux modéré de 400 francs »[16]. La Ville de Paris proposait plusieurs bourses à des postulantes qui devaient être nées à Paris ou dont les parents y étaient domiciliés depuis dix ans au moins, être âgées de douze ans au moins et de quatorze au plus, avoir « complété l’instruction élémentaire » et fournir « un certificat de vaccine »[17]. Ces bourses étaient généralement attribuées comme récompense de services rendus par les parents.[18]

Envisagé au départ comme le pendant féminin de l’école primaire supérieure de garçon Turgot, dont l’enseignement répondait « aux divers besoins de l’industrie parisienne et du commerce »[19], et sans doute sous l’impulsion donnée par Mme Pelleport, sa directrice pendant vingt-cinq ans, l’école du passage Saint-Pierre s’orienta très vite dans la formation d’institutrices. Les autorités départementales poussaient aussi dans ce sens, voyant dans ce nouvel établissement le moyen de justifier devant le ministre leur refus d’établir une école normale pour institutrices dans le département de la Seine, estimant que l’école primaire supérieure de filles promettait de « devenir une pépinière d’élèves-maîtresses »[20]. Et effectivement, beaucoup d’élèves s’orientèrent dans une carrière d’enseignante ; sur 346 jeunes filles passées par l’école du passage Saint-Pierre entre 1843 et 1868 dont il put suivre la trace, Octave Gréard constatait que si 102 n’exerçaient aucune profession et 42 un emploi dans le commerce, 181 étaient entrées dans l’enseignement[21].

La maison du 2-4 passage Saint-Pierre

Comme toutes les maisons du passage, le bâtiment où étudiaient les apprenties institutrices était, pour reprendre l’expression sommaire des agents du cadastre, « très vieux »[22]. Au moment de sa démolition, des ouvriers trouvèrent « une plaque de cuivre gravée », marque de fondation de la ‘’première pierre de l’habitation des Sœurs de la charité au service des pauvres de l’église Saint-Paul en 1713, Agnès-Catherine de Pomereu étant trésorière desdits pauvres »[23]. Peut-être composé de deux immeubles principaux à l’origine indépendants, l’ensemble occupait une superficie de 590 m². Les nombreuses photographies dont nous disposons, les plans et les informations du cadastre nous renseignent assez exactement sur sa physionomie.

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Situation du n° 2-4 dans le passage Saint-Pierre (le bâtiment en bleu, avec les limites de sa cour. Les actuelles rues Neuve-Saint-Pierre et de l’Hôtel-Saint-Paul qui ont remplacé le passage sont indiquées en surimpression (fond de plan extrait du plan parcellaire années 1860, Archives de Paris)

Entrant par une porte bâtarde dans une petite cour dallée de pierres, on avait à main gauche la loge du concierge, et en face, en rez-de-chaussée, une cuisine, un office et un lavoir. Sur la droite, on accédait au bâtiment principal, haut de deux étages carrés et d’un troisième mansardé, qui se réunissait à un autre de même hauteur, le tout formant côté sud une longue façade donnant sur une grande cour de 370 m² plantée d’arbres. Au rez-de-chaussée, à un ensemble composé d’une salle à manger, d’un office, d’un cabinet et d’une pièce avec cheminée (peut-être le logement de la directrice) succédait un réfectoire dont les trois fenêtres ouvraient sur la cour arborée.

Un grand escalier donnait accès à un premier étage où l’on trouvait plusieurs pièces et cabinets ainsi qu’une grande salle où se déroulaient sans doute les cours. Les deuxième et troisième étages abritaient sur toute leur longueur des dortoirs bien éclairés. A l’arrière de ce bâtiment principal, côté nord, et autour d’une autre petite cour au sol en graviers, une construction de trois étages d’une pièce devait servir de logements pour les membres du personnel[24].

Un puits alimentait en eau de source le bâtiment. Comme partout ailleurs dans le passage Saint-Pierre, qui était dépourvu de réseau d’égouts, l’évacuation des eaux usées se faisait ici aussi par trois caniveaux, dont deux découverts, qui se déversaient dans le passage. Les cinquante ou soixante personnes qui vivaient ou fréquentaient la maison disposaient de trois cabinets.

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Au fond à gauche, vue de l’immeuble depuis la rue Saint-Antoine (Phot. Bibliothèques de la Ville de Paris)

Les écoles primaires supérieures parisiennes attirant de plus en plus d’élèves, tant garçons que filles, celle du passage Saint-Pierre, trop enserrée dans ses locaux, n’était pas en mesure d’en accueillir au-delà de sa limite de quarante-huit [25]. Aussi la Ville de Paris décida en 1867 de déménager l’école rue Poulletier, dans l’Île Saint-Louis, dans des espaces plus vastes. Sa vocation de pépinières d’enseignantes, « sorte d’école normale où se form[ait] le personnel nécessaire à la tenue des établissements laïcs que la Ville mainten[ait], dans une proportion déterminée, à côté des écoles congréganistes »[26] fut confirmée.

Bâtiment administratif, maison des associations et crèche municipale

Après le départ de l’école primaire supérieure, le 2-4 passage Saint-Pierre, propriété municipale, cumula un certain nombre de fonctions et d’usages. Une école de dessin, créée en octobre 1873 sous le patronage de l’ébénisterie parisienne et subventionnée par la municipalité de Paris, occupa une partie du bâtiment. Trois soirs par semaine, de 20 heures à 22 heures, quatre-vingt-dix apprentis, après leur journée de travail, fréquentaient des cours assurés gratuitement par quatre professeurs et apprenaient à dresser « les plans de meubles et dessins d’ornements appliqués à l’industrie ». Les conditions d’études n’étaient pas entièrement idéales, notamment l’éclairage des lieux. « Certaines considérations empêch[aient] l’établissement du gaz » et obligeaient à user d’un éclairage à l’huile, ce qui « ne rend[ait] que des services tout à fait insuffisants », se plaignait-on[27]. La Ville reprenant ses locaux, l’école de dessin déménagea en 1881[28]

En 1883, l’établissement d’une autre école professionnelle « destinée aux industries de précision (optiques et mathématiques, appareils télégraphiques, petite mécanique, horlogerie, instruments de chirurgie » était en préparation dans l’immeuble municipal du passage Saint-Pierre[29]. De son côté, la Société des appareilleurs de la Ville de Paris y donnait des cours de coupe de pierres, mais elle dut cesser ses activités et se déclarer dissoute en 1888, « par la suite de la désertion du plus grand nombre de ses membres actifs »[30].

La vocation éducative et sociale du 2-4 passage Saint-Pierre fut à nouveau confirmée par l’ouverture le 18 juillet 1887 d’une crèche municipale. Accueillant 20 enfants, elle occupait deux pièces au 1er étage et bénéficiait en outre de la jouissance d’une partie de la cour. On ne comptait à cette époque que 36 crèches à Paris, et 21 en banlieue[31].  Les premières furent ouvertes à Paris à partir de 1844, dans la mouvance du catholicisme social, sous l’impulsion de Firmin Marbeau qui voulait soustraire l’éducation des enfants des classes populaires des  conditions de vie très dures de leurs parents. Des crèches laïques et municipales, comme celle du passage Saint-Pierre, furent créées par la suite et se développèrent à côté de celles dirigées par des congréganistes[32].

image 6Dans la crèche du passage Saint-Pierre, le coût journalier pour les parents (20 centimes ou 15 centimes pour deux ou plusieurs enfants)[33] restait modéré, même s’il pouvait représenter une part importante pour des salaires journaliers ouvriers tournant, dans les années 1890, autour de 4 à 5 francs pour les hommes et de 2 à 3 francs pour les femmes[34]. La municipalité contribuait au fonctionnement de la crèche en lui attribuant un budget de 2500 francs auquel s’ajoutaient des subventions régulières.

L’administration municipale, en 1887 et 1888, logea aussi dans son immeuble du passage Saint-Pierre le bureau de la 1ère section de la 5e circonscription du service des Ponts et chaussées, dirigé par le conducteur de travaux Chatenet[35]. Mais on ignore si elle accéda à la demande de M. Jaubert, président de la Société parisienne des Touristes lyonnais demandant que « le 2e étage de l’immeuble communal sis 2 passage Saint-Pierre [fût] mis à la disposition de la société »[36].

Autres associations hébergées dans l’ancienne école, des sociétés patriotiques occupaient des parties du bâtiment. La première, les Volontaires du IVe arrondissement, y eut son siège social de 1888 jusqu’à la démolition des lieux, en 1914[37]. Cette association était aussi, et surtout, une société de tir et comptait en 1902 « 177 membres dont 120 n’ayant pas encore satisfait à la loi militaire»[38]. Délogée en 1887 de ses locaux et de son stand de l’Île Saint-Louis appelés à être transformés en école, « une des plus vieilles sociétés de tir » de l’arrondissement trouva un avocat en la personne d’Eugène de Ménorval, conseiller municipal, qui demanda s’il n’était pas possible de « lui attribuer un emplacement passage Saint-Pierre qui doit servir à placer une crèche. Nous nous sommes assurés qu’il était possible de disposer d’un stand pour les Volontaires du IVe arrondissement sans nuire aux autres services ». Le Directeur de l’Enseignement primaire de la Ville ne jugea pas que cette cohabitation pût poser problème puisqu’il donna son accord à l’installation des tireurs du IVe au milieu des écoles du passage Saint-Pierre. Ainsi, c’est dans la cour du 2-4 passage Saint-Pierre que s’organisaient des concours de tir, comme celui du 12 mai 1894. Le stand de tir  était certes réduit dans un champ limité à 16 mètres, mais objets d’arts et médailles récompensèrent néanmoins les gagnants[39].

L’association des Volontaires du IVe, soutenue après Ménorval par un autre influent conseiller de l’arrondissement, Henry Galli, reçut en outre des subventions régulières de la part de la municipalité parisienne, à l’instar des très nombreuses associations patriotiques qui existaient dans tous les arrondissements. En 1893, les Volontaires sollicitaient la « remise à titre de prêt des 54 fusils scolaires en dépôt dans une école », peut-être l’école de garçons du 8 passage Saint-Pierre[40]. La Guerre de 1914-1918 mit un terme à l’existence de beaucoup de ces associations patriotiques ou fit évoluer les aspirations de leurs débuts. La société de tir des Volontaires du IVe arrondissement devint dans les années 20 celle des Volontaires du IVe et de la Jeunesse littéraire et sportive[41].

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L’entrée du 2 passage Saint-Pierre, à gauche sous le drapeau, avec l’enseigne de la Société des Volontaires de 1870-1871.

Une autre association, la Société des secours mutuels des Volontaires de 1870-1871 n’occupa que durant quelques années des locaux au 2-4 passage Saint-Pierre, entre 1907 et 1914. Créée en 1872 et plus connue sous le nom de Volontaires de 1870-1871, cette société d’entraide rassemblait des anciens engagés volontaires ayant combattu au cours de la guerre franco-prussienne dans le but de « leur assurer, par une faible cotisation, des secours en cas de maladie et le pain de leur vieillesse »[42]. Elle proposait aussi à ses membres une « bibliothèque spéciale, contenant plus de 500 ouvrages, presque tous traitant de la guerre de 1870-1871, ouverte tous les jeudis après-midi au siège social » du passage[43].

La fin.

A partir de la dernière décennie du XIXe siècle, à l’image des autres constructions voisines, la question de l’insalubrité du 2-4 passage Saint-Pierre devint prégnante. La responsabilité, mais aussi l’inaction de la municipalité, à la fois propriétaire de l’immeuble et responsable de la crèche d’arrondissement installée dans ses murs, furent régulièrement pointées par les conseillers municipaux alertés par les familles.

On peut aussi s’étonner aujourd’hui du voisinage d’un champ de tir partageant la cour d’une crèche. Peut-être y eut-il des plaintes à ce sujet, comme il y en eut, en mars 1897, contre l’installation au rez-de-chaussée d’un laboratoire de bactériologie alors que l’immeuble « su[ait] les microbes infectieux par tous les pores ». Un médecin de passage confirmait la dangerosité, estimant qu’il ne fallait pas qu’ « une crèche soit un ‘’tue-gosses’’ ». Malgré la délibération prise par le Conseil municipal et l’avis d’une commission compétente demandant qu’il fût installé ailleurs, le laboratoire était toujours dans les murs deux ans après [44].

Faute de terrains, de moyens financiers et sans doute de réelle volonté politique, la crèche du IVe arrondissement restait logée passage Saint-Pierre. Charles Vaudet, conseiller du quartier de l’Arsenal de 1897 à 1900, puis Henry Galli, qui lui succéda de 1900 à 1919, bataillèrent pendant quinze ans contre l’administration pour améliorer l’état de la crèche « la plus déplorablement installée de toutes les crèches de Paris »[45]. Ils étaient sollicités par les habitants du passage qui eux-mêmes souffraient de l’insalubrité générale et qui dénonçaient dans des lettres ouvertes à la Commission d’hygiène « une crèche municipale où les rats circulent en plein jour dans les salles » ; croyait-on que « la promiscuité de ces animaux [était] bien utile à la santé des enfants qu’on y amène ? »[46].

A la sollicitation de subventions pour effectuer des travaux de peinture et d’assainissement devenus sans doute inutiles en raison de l’état général du bâtiment succéda des demandes de déplacement de la crèche. En 1902, son transfert dans une partie du marché de l’Ave-Maria[47], partiellement désaffecté, fut proposé par le Conseil à l’administration préfectorale[48]. L’étude de la demande, l’évaluation des coûts d’aménagement, la concurrence avec d’autres projets pour l’utilisation des espaces du marché firent si bien traîner les choses que le projet de l’Ave-Maria fut abandonné. En 1911, après que fut prise la décision de démolir, avec d’autres bâtiments du passage, l’immeuble municipal du n°2-4, les conseillers du 4e arrondissement proposèrent que la crèche fût transférée provisoirement dans l’ancien presbytère des Blancs-Manteaux et sa cour. Ce projet entrant là encore en concurrence avec celui de l’aménagement du square des Guillemites, décidé l’année précédente, il ne pût aboutir. Faute de solution, les conseillers de l’arrondissement durent se résoudre à « inviter l’administration à étudier la reconstruction et l’aménagement de la crèche municipale du 4e arrondissement sur une partie à déterminer du terrain acheté par la Ville passage Saint-Pierre », dans un « milieu où elle [était] installée depuis longtemps déjà »[49].

La crèche resta dans l’immeuble municipal du 2-4 passage Saint-Pierre jusqu’à la démolition de celui-ci en 1914[50], mais elle ne fut jamais reconstruite sur place.

 

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[1] Emmanuel de Pastoret, Rapport fait au conseil général des hospices par un de ses membres sur l’état des hôpitaux, des hospices et des secours à domicile à Paris depuis le 1er janvier 1804 jusqu’au 1er janvier 1814, Paris, Impr. de Mme Huzard, 1816, p. 361-364.

[2] J.-A. Dulaure, Histoire physique, civile et morale de Paris, Paris, Guillaume et Cie, 1829, vol. 9, p. 60-61.

[3]  Octave Gréard, Education et instruction, Paris, Hachette, 1889, T. 1, p. 275.

[4] Emmanuel de Pastoret, op. cit, p. 361-364.

[5] Octave Gréard, op. cit. p. 276

[6] En 1829, on exigeait des futures pensionnaires « de la Maison d’éducation établie rue Saint-Antoine, passage Saint-Pierre »  qu’elles fournissent les effets suivants : « Une couchette peinte, à roulettes à équerres, deux matelas, une paillasse piquée ou un sommier de crin, un traversin, deux couvertures, une de laine et une de coton, une commode, deux paires de draps, un couvert et une timbale d’argent, un pot et une cuvette, un vase de nuit, deux chaises, des peignes et une brosse, du linge en suffisante quantité » et aussi « six serviettes, deux vêtements, six chemises, six mouchoirs, six bonnets de jour ou autre linge pour coiffure, trois bonnets de nuit, deux paires de souliers », in Conseil général de l’administration des hospices de Paris. Recueil des règlements et instructions pour l’administration des secours à domicile de Paris, Paris, Huzard, 1829, p. 265 et 334

[7] Emmanuel de Pastoret, op. cit. p. 361-364.

[8] A. Duquesnoy, Rapport au Conseil général des hospices sur l’administration des secours à domicile à l’époque du 1er germinal an XI, Impr. des Hospices civiles, p. 45, et Comptes généraux des hôpitaux, hospices civils, enfans abandonnés ; secours à domicile et direction des nourrices de la ville de Paris . Recettes, dépenses, population, An XIII, Paris, Imprimerie des hôpitaux et hospices civils, 1805, page 365

[9] http://www.inrp.fr/edition-electronique/lodel/dictionnaire-ferdinand-buisson/document.php?id=3442

[10] http://www.inrp.fr/edition-electronique/lodel/dictionnaire-ferdinand-buisson/document.php?id=2730

[11] Voir note 9.

[12] Le Constitutionnel, 29 août 1845. Revue de l’instruction publique, 5 avril 1866, p. 789. Cette école prit le nom d’école Colbert, puis Turgot.

[13] Ce choix fut peut-être la conséquence du rapport que Mme Sauvan, première inspectrice des écoles de Paris, rendit en 1835 au préfet de Paris, le comte Rambuteau « sur la situation de l’école Saint-Pierre et les résultats de l’enseignement qui s’y donne [et] les améliorations dont il serait susceptible » (E. Gossot, Mlle Sauvan, première inspectrice des écoles de Paris : sa vie et son œuvre, Paris, Hachette, 1877, p. 141)

[14] Octave Gréard, op. cit., p. 276

[15] La Gazette nationale ou Moniteur universel, 11 août 1842 ; La Presse, 12 août 1842.

[16] Horace Say, Etudes sur l’administration de la Ville de Paris, Paris, Guillaumin, 1846, p. 218.

[17] Le Constitutionnel, 24 août 1842.

[18] Horace Say, op. cit., p. 218.

[19] Revue de l’instruction publique, 1er décembre 1853, p. 512.

[20] Gazette nationale ou Moniteur universel, 5 nov. 1843

[21] Octave Gréard, op. cit., p. 276.

[22] Archives de Paris, 3589W 1653, Casier sanitaire passage Saint-Pierre, 1909.

[23] Journal des Débats, 16 avril 1916.

[24] Archives de Paris, D1P4 1055, Calepin des propriétés bâties, 1876.

[25] Revue de l’instruction publique, 1er décembre 1853, p. 512

[26] Annuaire encyclopédique : politique, économie sociale, statistique, administration, sciences, littérature, beaux-arts, agriculture, commerce, industrie, publié par les directeurs de l’Encyclopédie du XIXe siècle, Paris, Bureaux de l’Encyclopédie, 1868, page 1295.

[27] Bulletin de la Société de protection des apprentis et des enfants employés dans les manufactures, 1878, 12e année, p. 541-542.

[28] Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, 24 octobre 1899.

[29] Exposition internationale d’Amsterdam en 1883 : catalogue de l’exposition spéciale de la Ville de Paris et du département de la Seine, Paris, Chaix, 1883, p. 53 ; et Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, 14 septembre 1883.

[30] Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, 1er janvier 1887 et 19 août 1888.

[31] Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, 29 mai 1889.

[32] Voir sur le sujet in https://journals.openedition.org/rfp/3602 le compte rendu de l’ouvrage de Catherine Bouvet, L’utopie des crèches françaises au XIXe siècle : un pari sur l’enfant pauvre, Berne, P. Lang, 2010

[33] Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, 27 février 1890.

[34] http://nlghistoire.fr/documents/NLGH%20-%20prix%20&%20salaires%2019-20%C3%A8me%20si%C3%A8cles%20a.pdf

[35] Annuaire-almanach du commerce, de l’industrie, de la magistrature et de l’administration, ou almanach des 500.000 adresses de Paris, des départements et des pays étrangers, Paris ; Firmin Didot et Bottin réunis, années 1887-1888.

[36] Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, 20 mars et 8 mai 1888.

[37] Annuaire-almanach du commerce…, op. cit., années correspondantes.

[38] Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, 5 juillet 1902.

[39] Le Tir national. Union des Sociétés de tir de France, 12 mai 1894.

[40] Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, 2 juillet 1893. Les fusils scolaires, qui étaient de véritables fusils adaptés à la taille des enfants, servaient à l’entrainement au tir des bataillons scolaires mis en place dans les années 1880 pour initier les garçons des écoles aux pratiques et à l’esprit militaires. Très critiqués et surtout coûteux pour les communes, les bataillons scolaires disparurent au début des années 1890. Devenus inutiles dans les écoles, les fusils scolaires ont pu alors être réclamés pour être réutilisés par des sociétés de tir.

[41] Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, 16 février 1924.

[42] Philippe-Alexandre Boiry, Histoire de la Société des Volontaires, éd. par l’auteur, non paginé. Cette société existe toujours de nos jours sous le nom de Société des Volontaires, ayant agrégé en son sein les générations suivantes d’anciens combattants.

[43] L’Alsacien-Lorrain de Paris et des départements, français et annexés, 19 janvier 1913.

[44] Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, 20 mars 1897, 28 mars 1897, 14 mars 1899 ; Revue philanthropique, 3e année, T. 4, avril 1899.

[45] Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, 14 mars 1897, intervention de M. Breuillé.

[46] Le Radical, 30 décembre 1905.

[47] Ce marché couvert était situé en lieu et place de l’actuel square Marie Trintignant, en face de l’Hôtel de Sens. Construit dans les années 1870, il fut démoli à la fin des années 1920. Une série d’articles sur l’histoire de ce marché paraîtra prochainement sur les pages de ce blog.

[48] Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, 31 décembre 1902.

[49] Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, 28 mars 1911, 6 janvier 1912 et 4 février 1912.

[50] En 1919, on trouve deux crèches pour le 4e arrondissement, une première 22 rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie, qui a peut-être remplacé celle du passage Saint-Pierre à partir de 1919, et l’autre 7 rue Poulletier, dans l’île Saint-Louis, où elle existait déjà en 1908 (Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, 26 décembre 1908 et 11 janvier 1919).

 

 

 

Auteur : Gaspard Landau

Sous le nom de Gaspard Landau, j'explore l'histoire de ce bout du Marais qui, sur les bords de Seine, s'est érigé sur les fondations de l'ancien hôtel Saint-Pol. A côté de cela, sous le nom d'Olivier Siffrin, je suis bibliothécaire à la Bibliothèque nationale de France.

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