Histoires de quartier… La rue Neuve Saint-Pierre et l’ancien passage Saint-Pierre. 10 – L’ouverture sur la rue Saint-Paul (5e partie)

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Les vestiges de l’ancien clocher de l’église Saint-Paul, à l’angle actuel de la rue Saint-Paul et de la rue Neuve-Saint-Pierre, tels qu’ils apparurent lors de la démolition du 34 rue Saint-Paul, en 1914 (Source : BHVP).

Automne 1913. Nous sommes au moment où la pioche du démolisseur va faire disparaître les maisons que nous avons visitées au cours des derniers mois. Les numéros 6 et 7 du passage Saint-Pierre sont déjà à terre et leurs voisines des numéros 2, 4, 9, 11 et 13 vont subir le même sort, comme rue Saint-Antoine les maisons des numéros 59, 63 et 65, et rue Saint-Paul, celles des numéros 34 et 36. La Commission du Vieux-Paris et son secrétaire, Lucien Lambeau, savaient ces immeubles susceptibles d’être « remplis de vestiges de l’antique cité », et ils ont accompagné ces travaux de démolition en effectuant des relevés et en collectant des objets intéressants pour les transférer au Musée Carnavalet. Surtout, en faisant faire des photographies des maisons condamnées, ils ont conservé pour l’avenir leur aspect et celui du quartier disparu.

S’agissant de la maison du 34 rue Saint-Paul, les historiens devaient s’attendre à ce que sa démolition fasse apparaître quelques parties subsistantes de l’ancienne église Saint-Paul, qui lui était contigüe jusqu’à sa destruction sous la Révolution. Et effectivement, les démolisseurs de 1913 firent une belle découverte.

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L’état des vestiges restaurés du clocher aujourd’hui.

Laissons Lucien Lambeau raconter ce moment[1] et décrire ce qu’aujourd’hui encore, nous pouvons voir à l’angle de la rue Neuve-Saint-Pierre et de la rue Saint-Paul :

« Pendant le courant du mois de décembre 1913, lors de la démolition de l’ancienne maison située rue Saint-Paul, 34, sous laquelle existait la voûte du passage Saint-Pierre, les démolisseurs mirent au jour un appareil architectural qui ne semble pas être autre chose que l’escalier hors d’œuvre qui s’appuyait, à gauche, à la tour de l’ancienne église Saint-Paul. Cet appareil se compose d’une sorte de gaine de pierre à trois pans, formant deux angles, l’un droit l’autre obtus, ce dernier en face de la rue Saint-Paul. L’un des pans contient à sa base la porte de l’escalier […] Au moment de sa découverte, elle montrait encore trois marches, situées à environ un mètre du sol actuel. Après ces trois marches, une maçonnerie en blocage existait, obstruant le reste du degré et ne permettant pas de continuer l’ascension. »

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L’escalier du clocher au moment de sa découverte (source : BHVP). Restauré, il est aujourd’hui parfaitement visible à l’intérieur de la petite salle de La Cerise sur la pizza, restaurant dont la construction légère est appuyée sur le mur de l’ancien clocher, rue Neuve-Saint-Pierre.

« A l’heure actuelle, ce blocage existe toujours, il a même été consolidé par les démolisseurs, ce qui était une sage précaution, de sorte qu’il est impossible de savoir si les marches se continuent jusqu’au sommet. Nous devons dire, pourtant, que l’entrepreneur de démolition prétend que ce degré n’aurait plus son intégrité première et que beaucoup de marches auraient été détruites pour le passage des tuyaux de cheminées établies lors de la construction, en 1846, de l’immeuble portant le n° 32 de la rue Saint-Paul.

« Cette gaine de pierre, quoi qu’il en soit, possède encore un sommet mouluré, car elle s’élève jusqu’au cinquième étage de la maison dont il s’agit. Sur les deux côtés de l’angle obtus, c’est-à-dire sur deux pans de l’escalier hors d’œuvre, se voient, notamment au rez-de-chaussée, une mouluration formant boudin, et au-dessus du second étage, des vestiges de larmier. »

Pourquoi cette partie de l’église échappa-t-elle à la démolition ? Lambeau émet une hypothèse tout à fait plausible.

« A la fin du XVIIe siècle ou vers le commencement du XVIIIe, la fabrique de Saint-Paul édifia la maison qui vient d’être démolie, portant le n° 34. Cet immeuble, qui devait comporter une entrée conduisant au cimetière (la voûte aujourd’hui démolie) […], construit des deniers de la paroisse et pour ses besoins, fut établi de façon à s’appuyer contre la partie nord de l’église, c’est-à-dire contre le clocher et sa gaine extérieure. Si l’on examine attentivement le plan de Turgot, qui est de 1734, on verra, en effet, que la maison dont il s’agit non seulement s’appuie sur le clocher, mais englobe complètement notre escalier hors d’œuvre, et qu’elle l’incorpore à ses trois étages et à son toit. C’est alors, selon nous, que fut murée la petite porte mise dernièrement au jour, et qu’un autre entrée de l’escalier fut ménagée dans l’intérieur de l’église ».

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L’église Saint-Paul sur le plan de Turgot.

Quand fut entreprise la démolition de l’église, sa mitoyenneté avec la maison du n° 34, où était englobé l’escalier du clocher, permit que tout le pan nord du clocher restât debout, sa face interne, orientée sud, devenant le pignon de la maison. Ce pignon surplomba à partir de la fin du XVIIIe siècle l’emplacement où s’était élevée l’église Saint-Paul et qui durant un demi-siècle servit de dépôts de charbons.

Lambeau cite à ce propos les observations d’un témoin de ce temps, un érudit du quartier Denis de Hanzy[2] qui précisait dans une brochure publiée en 1842 : « On peut encore aujourd’hui distinguer l’emplacement de cette église, rue Saint-Paul […]. Cet emplacement a été consacré à un dépôt de charbons, et l’on remarque encore à l’entrée du terrain, à gauche, les vestiges de l’escalier qui conduisait au haut de la tour, placée elle-même à gauche du portail [de l’église] ».

Cet escalier, « ce vestige intéressant », reprend Lambeau, « disparut à la vue dès que fut construite, en 1846 […] la maison portant le n° 32 ». Imbriqué entre la vieille maison du 34 et le nouvel immeuble construit au n° 32, le pan nord du clocher et son escalier hors d’œuvre, qui « pendant cent ans servit de placard aux habitants du rez-de-chaussée de la maison »[3], furent oubliés.

Autre vestige de l’ancienne église, qui lui ne survécut pas à la destruction de la maison du n° 34, cette ogive que l’on voit sur la photographie de sa façade arrière. Les historiens de l’époque ne l’évoquent pas. Si l’on observe la représentation du plan de Turgot, elle semble placée là où s’élevaient les arcs-boutants du flanc nord de l’édifice et les constructions placées entre eux .

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Reste d’une ogive de l’ancienne église Saint-Paul insérée dans le mur arrière de la maison du n° 34 rue Saint-Paul (source BnF Gallica , photo Atget).

Les moellons réguliers du bel appareil du pan sauvegardé du clocher de l’église Saint-Paul qui forment aujourd’hui le pignon de l’immeuble construit en 1846 au n° 32 de la rue Saint-Paul sont également visibles depuis l’intérieur de la boutique située à son extrémité gauche.

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L’intérieur de la boutique d’horlogerie Laruze, 32 rue Saint-Paul, où sont visibles, à gauche, la base de la face intérieure du pan du clocher, avec son appareil régulier, et en fond de salle, une ancienne ogive bouchée entourée d’une maçonnerie irrégulière, survivance peut-être là aussi  des constructions qui longeaient le flanc nord de la nef, sous les arcs-boutants.

En janvier ou février 1914, déblayée des débris des maisons abattues, l’ouverture de la future rue Neuve-Saint-Pierre sur la rue Saint-Paul est désormais réalisée, modifiant significativement le tracé et la physionomie de cette dernière, comme l’illustrent les deux vues ci-dessous prises à une centaine d’années d’intervalle. La disparition des maisons et de leur masse en saillie par rapport à l’alignement général de la rue a plutôt formé un vide, faute de plan d’urbanisme pour aménager le nouveau carrefour, donnant à cet endroit un aspect d’inachevé. Aspect que l’on retrouve d’ailleurs également à l’autre extrémité de la rue Neuve-Saint-Pierre, côté rue Beautreillis.

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Vue de la rue Saint-Paul aujourd’hui et au début du XXe siècle. Débordant de l’alignement des immeubles voisins, la maison du n° 34, avec sa façade imposante et ses hautes cheminées, a été remplacée par l’ouverture de la rue Neuve-Saint-Pierre.

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[1] Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, 17 juillet 1914.

[2] Dans sa Notice historique sur la paroisse royale Saint-Paul Saint-Louis. Description détaillée de l’église actuelle et de ses caveaux, Paris, Impr. Veuve Dondy-Dupré, 1842, VII-75 p.

[3] La Presse, 5 janvier 1914.

Auteur : Gaspard Landau

Sous le nom de Gaspard Landau, j'explore l'histoire de ce bout du Marais qui, sur les bords de Seine, s'est érigé sur les fondations de l'ancien hôtel Saint-Pol. A côté de cela, sous le nom d'Olivier Siffrin, je suis bibliothécaire à la Bibliothèque nationale de France.

Une réflexion sur « Histoires de quartier… La rue Neuve Saint-Pierre et l’ancien passage Saint-Pierre. 10 – L’ouverture sur la rue Saint-Paul (5e partie) »

  1. Enfin..!!!
    Merci de mettre en avant les travaux de Lucien Lambeau qui habitait le regretté hôtel de la Vieuville à l’autre bout de la rue Saint Paul (angle du quai des celestins)
    Les caves du 32 sous la nef de l’église Saint Paul méritent également notre attention.
    Elles ont servi de lieu de sépulture !

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