Histoires de quartier… La rue Neuve Saint-Pierre et l’ancien passage Saint-Pierre. 10 – L’ouverture sur la rue Saint-Paul (4e partie)…

… ou comment, tardivement, nous avons découvert le plan d’architecte sans doute le plus ancien de l’entrée du passage Saint-Pierre, rue Saint-Paul.

Image 1
(Zoom possible ici)

Disponible et accessible sur le site du Musée Carnavalet, ce plan est daté du 15 fructidor an 4e de la République (1er septembre 1796). Ses auteurs sont deux architectes, Van Cléemputte[1] et Barbier[2] qui certifient ce plan comme « conforme aux déclarations indiquées dans les procès-verbaux » qu’ils ont dressés et joints. Ces documents furent probablement établis dans la perspective de la vente des deux maisons des numéros 34 et 36 rue Saint-Paul (numérotées 9 et 8 sur le plan, selon la numérotation en vigueur entre 1790 et 1805). En effet, nationalisées comme biens du clergé en même temps que les autres propriétés que possédait l’ancienne fabrique Saint-Paul, les « deux boutiques et dépendances au passage Saint-Pierre et Paul, n° 8 et 9 » furent vendues deux mois plus tard, le 29 brumaire an V (19 novembre 1796) aux citoyens Charles et François Laflèche [3].

Ce plan, dont on remarque au passage que l’échelle est en mètres alors que le système métrique venait juste d’être établi[4], avait pour objet de tracer les limites des deux maisons. Il nous offre également un relevé assez précis de leur environnement et de l’état dans lequel se trouvait cette partie du passage Saint-Pierre à un moment où celui-ci subit une modification majeure de son bâti, avec la disparition de l’église Saint-Paul et la laïcisation progressive des bâtiments ecclésiastiques qui l’entouraient. La comparaison que nous proposons avec l’extrait du plan de Turgot (1735) et le plan parcellaire de 1830-1850 permettra d’illustrer ces transformations.

Image 3
Extrait du plan dit de Turgot (1735). Les bâtiments sujets de cet article sont colorés selon les couleurs utilisées sur la plan de 1796.

Sur la partie gauche du plan des architectes de 1796, la zone de couleur marron marque un « terrain vague » correspondant à l’ancienne emprise de la prison Saint-Éloi, désaffectée depuis 1787 et démolie ensuite « pour en extraire le salpêtre en vertu d’un arrêté du Comité de salut public »[5]. Le terrain nu fut vendu au citoyen Susse le 25 vendémiaire an V (16 octobre 1796)[6]. Les architectes ont signalé sur le plan que le mur mitoyen avec la maison du n° 8 rue Saint-Paul (= n° 36) subsistant après la démolition de l’ancienne prison est « en mauvais état » et  « indispensable à reconstruire ». Sur le plan de Turgot, les bâtiments de la prison Saint-Éloi ont été teintés en marron et l’on discerne les bâtiments qui occupaient le terrain devenu « vague » en 1796.  Une quarantaine d’années plus tard, comme le montre le plan parcellaire, d’autres bâtiments ont été construits sur les lieux et s’appuient sur le mur mitoyen avec le n° 36 (alors n° 38) ; il s’agit des écuries et des remises de services de messagerie et de diligences qui ont occupé l’ancien emplacement de la prison Saint-Éloi pendant une très grande partie XIXe siècle[7].

Image 2
Extrait du plan parcellaire 1830-1850 (Archives de Paris)

En 1796, la maison au n° 8 (=36), en bleu, était alors « occupée par le citoyen Mettraux [ ?], boucher ». Nous n’avons pas retrouvé mention de ce commerce à cette adresse dans l’Almanach du commerce de Paris pour les années 1797/1798 et suivantes[8]. La façade de la maison est sommairement représentée sur le plan de Turgot. Mais le plan des architectes de 1796 épouse le tracé précis du plan parcellaire dressé dans les années 1830-1850, et on remarque que la cour du fond et le puits d’angle, partagé avec les propriétés voisines, se retrouvent sur les deux représentations.

On note aussi sur le plan de 1796, dans le prolongement de la maison, la mention de « bâtiment du presbytère ». Ce bâtiment, formant le côté nord de cette partie du passage Saint-Pierre délimité au sud par l’église Saint-Paul, fut divisé en trois lots vendus plus tardivement, le 27 messidor an V (15 juillet 1797). La « portion des bâtiments du presbytère » mitoyenne avec le fond de la maison du 8 (=36) rue Saint-Paul était alors louée au boucher, et une porte de communication avait été percée.

Traversant la maison voisine, au n° 9 (=34), future officine de pharmacie (en orange sur les plans), le « passage de porte cochère et de servitude conduisant aux maisons de la ci-devant cour presbytérale » était d’une longueur d’environ 13 mètres. Il séparait la boutique du rez-de-chaussée, située dans la partie gauche, de l’escalier de l’immeuble placé à droite et ouvert de plein pied sur rue. Cette partie de la maison est, en 1796, accolée à la tour du clocher de l’église Saint-Paul, encore debout à cette date, voire peut-être déjà en cours de démolition. La position de la tour carrée est en retrait par rapport aux deux maisons comme en témoigne aussi l’alignement de la façade de l’église sur le plan de Turgot, et comme le sera la maison qui sera construite en 1846[9] à l’emplacement de la façade disparue de l’édifice religieux. Dans une tourelle d’angle, un « escalier hors d’œuvre s’appuyait sur la tour […], permettant d’accéder à sa terrasse »[10]. Son empreinte est visible sur le plan de 1796, formant dans l’angle nord-ouest de la tour comme une saillie ronde dans le mur mitoyen avec la maison du n° 9 (=34). Dans le parcellaire de 1830-1850, elle subsiste dans les lignes du bâti qui a succédé à l’ancienne église. On remarque par ailleurs la présence de deux contreforts qui flanquaient l’autre angle extérieur de la tour.

La maison du n° 9 (=34) est signalée sur le plan de 1796 comme « occupée par le chandelier ». Là aussi, on ne trouve pas trace de fabricant de chandelles à cette adresse de la rue Saint-Paul parmi ceux recensés à Paris dans l’Almanach du commerce paru en 1797/1798 ou 1799. Mais nul doute que sa pratique était en grande partie liée aux besoins en cierges et bougies de l’église voisine et que cette activité a pu ne pas survivre à sa disparition.

Dans le prolongement de la tour du clocher, le « bâtiment de la ci-devant église Saint-Paul » est représenté sur le plan de 1796, sans que l’on puisse savoir à quelle étape de sa démolition il se trouve alors à cette date. Mais celle-ci fut rapidement menée par le nouveau propriétaire des lieux, le citoyen Susse. Murs et façades disparurent et furent arasés jusqu’au sol. Le terrain dégagé devint pour de nombreuses années des lieux de dépôts et de stockage, notamment de charbon. A un endroit pourtant une portion de l’ancienne église subsista. Devenue le pignon de la maison voisine du n° 34, qui s’était construite en s’appuyant dessus, la face extérieure de la tour du clocher fut engloutie et masquée lors de la construction en 1846 de l’immeuble voisin, au n° 32 rue Saint-Paul. Disparaissant de la vue et de la mémoire des habitants du quartier, les vestiges de l’ancienne église Saint-Paul ressurgirent des dizaines d’années plus tard, alors qu’autour d’eux s’abattaient les derniers bâtiments témoins de l’ancien passage Saint-Pierre.

(à suivre)

_________________________________________

[1] Sans doute est-il celui dont le nom est orthographié Vamclineputte dans l’Almanach du commerce de Paris, année 1797, p. 6, et qui habite rue du Bac, n° 149.

[2] On trouve un Barbier, logeant au 410 rue des Bourdonnais, parmi les architectes recensés dans l’édition de 1799 du même Almanach du commerce de Paris.

[3] Sommier des biens nationaux de la Ville de Paris conservés aux archives de la Seine, publiés par H. Moran et L. Lazard, Paris, Cerf, 1920, p. 579.

[4] Décret du 1er vendémiaire an IV (23 septembre 1795). L’usage du système métrique ne sera rendu obligatoire que le 13 brumaire an IX (4 novembre 1800).

[5] Sommier des biens nationaux de la Ville de Paris…, op. cit., p. 579.

[6] Pour plus de détails sur cette période et notamment la vente des différents biens de l’ancienne fabrique Saint-Paul, on peut se reporter aux articles précédents portant sur le passage Saint-Pierre.

[7] Nous espérons pouvoir revenir bientôt sur l’histoire de l’ancienne prison Saint-Éloi…

[8] Almanach du commerce de Paris…, édité par La Tynna, puis S. Bottin, Paris, 1797-1838. Mais la propriété a été acquise par les Laflèche en 1796, et ils ont pu mettre fin aux baux des occupants, ceci avant la première parution de l’Almanach, en 1797/1798.

[9] Danielle Chadych, Le Marais, évolution d’un paysage urbain, Paris, Parigramme, 2014, p. 168.

[10] Danielle Chadych, Le Marais…, op. cit, p. 168.

Auteur : Gaspard Landau

Sous le nom de Gaspard Landau, j'explore l'histoire de ce bout du Marais qui, sur les bords de Seine, s'est érigé sur les fondations de l'ancien hôtel Saint-Pol. A côté de cela, sous le nom d'Olivier Siffrin, je suis bibliothécaire à la Bibliothèque nationale de France.

3 réflexions sur « Histoires de quartier… La rue Neuve Saint-Pierre et l’ancien passage Saint-Pierre. 10 – L’ouverture sur la rue Saint-Paul (4e partie)… »

  1. Merci pour cette invention de ce plan
    méconnu.
    Les archives de Carnavalet recèlent
    de beaux trésors
    En attendant des précisions sur la prison et surtout sur l’eglise saint Paul et ses caves, recevez mes meilleurs voeux et encouragements pour vos recherches.

    J’aime

  2. Au 28 rue st Paul, on note l’existence actuelle d’un assez grand jardin. Il est bordé, sur la gauche en entrant par le porche, par un grand mur ancien mitoyen de la cour de l’école de la rue neuve St Pierre. S’agit-il du mur du cloitre, ou de l’église, ou bien ?

    J’aime

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :