Histoires d’immeuble… Le 6 rue Beautreillis. Images d’une disparition.

Le portail de l’hôtel Raoul aujourd’hui.

Son portail et une horloge sont tout ce qui subsiste aujourd’hui de l’ancien Hôtel de Jean-Louis Raoul qui occupait l’emplacement du 6 rue Beautreillis. Il doit son nom au fabricant de limes qui l’occupa dans la première moitié du XIXe siècle et qui marqua ainsi sa propriété sur le fronton du porche. L’ancienne demeure, bâtie sur une construction plus ancienne au début du XVIIe siècle, a été remplacée au début des années 1960 par un immeuble moderne, fonctionnel et sans attrait, comme on en fit beaucoup à cette époque. L’histoire de l’hôtel disparu du 6 rue Beautreillis a déjà été écrite par Michel Cribier. Il lui a consacré un site très complet  (http://cribier.net/Hotel-Raoul/) et il se bat depuis de nombreuses années pour la sauvegarde du portail, en dépit d’une indifférence assez générale, notamment des diverses administrations chargées de la protection du patrimoine. Notre projet n’est donc pas de refaire l’étude de Michel Cribier, qui couvre largement tous les aspects de l’histoire de l’ancien hôtel et de ses occupants au fil des siècles, mais simplement d’ajouter des images et des histoires au sujet de cette demeure à partir de ce que nous avons pu glaner au fil de nos recherches sur la rue Beautreillis, ses maisons et les gens qui y vécurent.

Photo E. Atget (Musée Carnavalet).

Photographiée par Atget, cette vue de la rue Beautreillis, prise en direction de la rue des Lions-Saint-Paul, nous restitue le portail de l’hôtel Raoul tel qu’il se présentait au début du XXe siècle. Il ouvre sur une cour que l’on devine, ceinte côté rue par de hauts murs. Derrière se dressent les étages supérieurs d’un corps de logis formant l’aile droite de l’hôtel. Au bout de la rue, la photographie nous offre aussi la perspective aujourd’hui définitivement perdue de l’hôtel Fieubet, désormais masquée par la récente construction d’une extension cubique et grillagée de l’École Massillon.

Vu sous l’angle opposé, le portail nous apparaît ici vers 1890 dans toute sa majesté. Il a encore gravé sur son encadrement un 4, numéro qu’il portait au début du XIXe siècle, quand cette partie de la rue s’appelait Gérard Beauquet. Le heurtoir fixé sur la porte-guichet est toujours présent aujourd’hui, mais les vantaux ouvragés sont désormais ternis et dégradés, et les chasse-roues en ferronnerie ont disparu.

De l’autre côté du portail, une cour. Cette vue d’une partie de l’aile gauche de l’hôtel nous la révèle, pavée et séparée de la rue par un mur soutenu par des contreforts encadrant le portail. À l’angle, la loge du concierge qui a agrémenté les abords du pas de porte de plantes en pot. La porte sur la droite ouvre sur un escalier « commode et bien éclairé [1]» par des oculus desservant les quatre étages. Surtout, on distingue cette terrasse placée au niveau du deuxième étage, à l’extrémité de l’aile, répondant de façon symétrique à celle de l’aile droite. Les balustres de pierre qui la bordent en partie ainsi que celles de la fenêtre située sous la terrasse contrastent avec des garde-corps en ferronnerie des autres fenêtres de l’hôtel, signalant une possible reconstruction partielle. Enfin, on ne pourra que remarquer la statue qui orne l’angle de la terrasse et regarde une autre placée à l’autre aile. On croit deviner des silhouettes enfantines. Que sont-elles devenues ?

L’entrée du corps de logis principal, flanquée de pilastre, porte sous son entablement une frise peinte ou gravée encadrée, semble-t-il, de médaillons, et un lambrequin de métal très ouvragé orne le pourtour d’un court auvent. Comme on le distingue ici (voir le plan des années 1820-1830 plus bas), l’entrée s’ouvre sur un vestibule d’où part un corridor menant au « beau jardin réservé [2]» situé derrière la maison. Sur la droite on aperçoit les premières marches du grand escalier de l’hôtel. Protégée par un chapiteau de bronze ou de fer, l’horloge aux dauphins est installée sur le devant de la fenêtre surplombant l’entrée.

Archives de Paris.

Quelques dizaines d’année plus tard, au début des années 1960 commence la démolition progressive de l’hôtel Raoul et la construction en plusieurs temps de l’ensemble immobilier qui l’a remplacé.

Sur la photo ci-dessus, présentée sur les pages du site de Michel Cribier, le mur décrépi abritant la cour révèle sur sa partie supérieure une construction en pans de bois et moellons, peut-être posée sur une base plus ancienne élevée en pierres. L’hôtel semble encore intact, même si on croit deviner que l’extrémité de l’aile droite qui supportait la terrasse a disparu. On voit bien cependant que l’ancienne maison qui occupait le n° 5 rue Charles-V, et sans doute celle du n° 3 (voir plan), ont déjà disparu. Ces vieilles demeures de l’ancienne rue des Trois Pistolets[3] ont été remplacées par l’immeuble moderne qui a constitué la première tranche du projet immobilier. La colonne de gros pavés de verre qui éclaire la cage d’escalier que l’on peut voir aujourd’hui à cet emplacement sur le nouvel immeuble est reconnaissable sur cette photo.

Le dessin de Robert Frémont du carrefour rue Beautreillis-rue Charles V, datant des années 1895-1905, nous montre la maison qui occupait le n° 5. Il nous offre aussi une autre vue partielle de l’hôtel Raoul et de son porche.

Carrefour rue Charles V – rue Beautreillis (Musée Carnavalet).

Sur cette autre photo, prise sans doute depuis le portail ouvert et trouvée dans les pages consacrées au patrimoine en danger du Marais dans le Programme du Festival du Marais de 1964 édité par l’Association pour la sauvegarde et la mise en valeur du Paris historique[4], toute l’aile droite de l’hôtel et la moitié du corps de logis principal ont été démolies. Une nouvelle tranche de la construction occupe la place, appuyée sur la partie déjà construite le long de la rue Charles V dont elle forme l’autre face. L’horloge est encore là, comptant à rebours le temps qui mène vers la disparition complète de l’hôtel.


Cette seconde vue trouvée dans le Programme du Festival du Marais montre l’aile gauche, jumelle de la droite, avec les balustres de pierre de la dernière fenêtre au premier étage, sur sa partie qui supporte une terrasse.

Un commentaire sarcastique des auteurs du Programme du Festival du Marais sur l’immeuble qui est en train de le remplacer et sur son architecte, Jean Gouriou accompagne ces photos de la démolition en cours de l’hôtel Raoul [5].


La sauvegarde du portail de l’hôtel Raoul reste d’actualité et le temps qui passe et qui finit de le dégrader impose l’urgence d’une action. Il faut espérer que malgré les difficultés, les efforts de Michel Cribier finiront par aboutir et qu’il sera entendu [6].


Le plan de l’hôtel Raoul sur la plan parcellaire des années 1830-1840 (Archives de Paris).

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[1] Archives de Paris, D1P4 93, Calepin des propriétés bâties, 1852.

[2] Archives de Paris, D1P4 93, Calepin des propriétés bâties, 1876.

[3] Nom que portait la section de la rue Charles V entre la rue Beautreillis et la rue du Petit-Musc jusqu’en 1864. Le 5 rue Charles V correspondait aussi au n° 8 rue Beautreillis.

[4] Festival du Marais 1964. Programme : activités de l’Association pour la sauvegarde et la mise en valeur du Paris historique, [Paris], 1964, non paginé. Consultable en ligne sur Gallica Intramuros https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb353190139

[5] D’autres destructions touchant ailleurs dans le Marais maisons et hôtels sont également présentées dans ce Programme.

[6] Voir l’article tout récent du Parisien (4 janvier 2021).

Auteur : Gaspard Landau

Sous le nom de Gaspard Landau, j'explore l'histoire de ce bout du Marais qui, sur les bords de Seine, s'est érigé sur les fondations de l'ancien hôtel Saint-Pol. A côté de cela, sous le nom d'Olivier Siffrin, je suis bibliothécaire à la Bibliothèque nationale de France.

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