Le 14 prairial an IV (2 juin 1796) paraissait dans le Journal de Paris cette annonce.

Si cette histoire de chien perdu nous interpelle, c’est qu’il arpentait avec son maître le pavé de la rue Beautreillis.
Mais on remarque que ce type d’annonce se rencontre fréquemment dans les journaux de l’époque. On perdait son caniche au Mans sous la monarchie absolue…

ou à Paris sous la monarchie constitutionnelle …

mais encore après la proclamation de la République …



ou sous le Consulat …

et fréquemment sous l’Empire…



Chiens perdus, ou chiens volés…

Très souvent associé au mode de vie de l’aristocratie de l’Ancien régime, le caniche, sorte de petit marquis précieux du genre canin, symbolise, déjà dans beaucoup d’écrits à l’époque révolutionnaire, soumission, manque de caractère et frivolité. Ennemis de la République et contre-révolutionnaires sont des « caniches [qui] jappent contre le peuple français »[1].
Mais à l’opposé, on voit aussi Hébert l’Enragé mettre en scène dans son Journal du Père Duchesne, entre sa Jacqueline et ses « petits marmots », son « gros caniche, [son] fidèle compagnon, [son] dragon qui aboie si fort quand on parle d’aristocrates et qui saute jusqu’aux nues pour les Jacobins »[2].
Regard ambivalent donc pour ces chien considérés comme intelligents. Mais suivra t-on pour autant ce littérateur contemporain quand il écrivait à leur propos : « La raison nous égare sans cesse : mais l’instinct ne les trompe jamais. Oui, dût cette assertion révolter notre orgueil, l’instinct du chien-caniche est un guide plus sûr que la raison du philosophe» … ?[3]

Il n’empêche que l’attachement de tous ces maîtres pour leur caniche, comme le laissent deviner ces avis de recherche, est sans aucun doute sincère et révèle une sensibilité nouvelle. Il est dommage que nous ignorions le nom de celui qui vivait rue Beautreillis et qui perdit sa jeune chienne caniche noire et blanche en 1796. Il habitait au numéro 4 de la rue, dans l’hôtel de Charny (qui correspond aujourd’hui au numéro 22 [4]). Peut-être était-ce Joseph Coffinhal (1757-1841), dont l’épouse, Louise, avait hérité de l’hôtel[5]. Ou alors ce chien appartenait à un des locataires de la maison, la propriété ayant été agrandie et surélevée dans les années 1780 pour en transformer une partie en maison de rapport. Le malheureux maître promettait 2000 livres en assignats comme récompense à qui retrouverait l’animal, c’est-à-dire pas grand-chose ; le papier-monnaie révolutionnaire avait perdu depuis longtemps toute valeur, et la loi avait ordonné deux mois auparavant de briser les presses qui servaient à imprimer les assignats.
Le caniche fut-il retrouvé ? Sans doute pas. Et on peut supposer qu’un autre l’a remplacé dans l’affection de son maître… Un maître qui n’a pas eu de chance avec ses chiens. Dans le Journal de Paris du 22 prairial an X (11 juin 1802), on pouvait en effet lire cette annonce :

Le franc germinal eût-il plus d’attrait que les assignats pour que cet habitant de la rue Beautreillis retrouve l’objet de son affection ? Nous l’ignorons.
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[1] Journal des Hommes libres de tous les pays, ou le Républicain, 24 septembre 1793.
[2] Je suis le véritable père Duchesne, foutre !, n° 322.
[3] Compte rendu de l’ouvrage de M. Antoine, Les animaux célèbres, Paris, Louis libraire, [1812], 2 vol. [édition non signalée dans les collections BnF], in Journal de Paris, 18 mars 1812.
[4] « Le ci-devant hôtel de Charny, sise à Paris, rue Beautreillis, n° 4, près la rue Antoine, division de l’Arsenal » portait alors ce numéro, comme le confirme l’annonce de son adjudication publiée dans le Journal de Paris du 3 floréal an VIII (23 avril 1800). La numérotation des rues de Paris fut réformée en 1805 et le n° 14 lui fut alors attribué. Il prit le n° 22 avec la renumérotation générale de la rue qui suivit la fusion de la rue Beautreillis avec la rue Gérard Beauquet en 1838.
[5] Martine Mantelet, L’hôtel de Charny, Paris, [M. Mantelet], 1988, p. 36. Joseph Coffinhal était le frère de Jean-Baptiste Coffinhal (1762-1794), membre du Tribunal révolutionnaire et qui fut guillotiné avec les partisans de Robespierre après la chute de ce dernier.