
Année 1876. Revenant de la rue Saint-Antoine avec quelques légumes achetés chez l’une des nombreuses marchandes des quatre saisons dont les charrettes à bras se succédaient le long des trottoirs, la veuve Bazot[1] passa devant la parfumerie Papin, et après la boutique du cordonnier, tourna à l’angle et s’engagea sous la voûte de l’immeuble du n° 164 qui débouchait sur le passage Saint-Pierre. Elle contourna le poteau qui interdisait l’accès de la voie privée aux attelages, en prenant garde de ne pas glisser sur les mauvais pavés et d’éviter les caniveaux où, hiver comme été, s’écoulaient vers la rue Saint-Antoine, les eaux de pluie et les eaux usées des habitations et des ateliers. La veuve Bazot parcourut sur une trentaine de mètres l’étroit passage bordé de maisons et de murs que le soleil n’éclairait qu’à son zénith. A son extrémité se dressait un immeuble qui en barrait le fond et sous lequel s’ouvrait un porche.
Le 6 nivôse an V (26 décembre 1796), le citoyen Susse, « marchand de bois demeurant rue [Saint-] Julien-le-pauvre, n° 14 et 15 », quartier du Panthéon, achetait l’église Saint-Paul, désaffectée et devenue bien national, pour la somme de 43 200 francs. Il fit une bonne affaire puisque sa valeur avait été estimée à 500 000 francs. Depuis quelques mois seulement, le lieu était loué à la citoyenne Egresset, sans que l’on connaisse l’usage qu’elle en faisait
Reliant la rue Beautreillis à la rue Saint-Paul, la rue Neuve-Saint-Pierre n’est assurément pas la plus belle du quartier, il s’en faut de loin. Création récente, elle est constituée d’une succession disparate d’immeubles de toutes époques. Si elle garde une certaine cohérence côté Saint-Paul, la rue reste marquée à son débouché rue Beautreillis par l’éventrement brutal du bâti effectué lors de son percement en 1923. La démolition de l’hôtel qui occupait jusqu’alors le n° 21 rue Beautreillis a laissé découvert l’immense pignon de l’immeuble voisin, hideusement décoré il y a une trentaine d’années par des aplats géométriques de couleur ocre et orangée sur un mur de moellons d’où ressortent des moignons de poutres sciées. Peut-être faut-il voir dans ces ornements quasi-psychédéliques qui tranchent, qui jurent même avec le parfait classicisme post-haussmannienne de la façade, une sorte d’hommage raté à la mémoire de Jim Morrison, mort dans cet immeuble en 1971.