
Le 5/7 passage Saint-Pierre
Avec l’immeuble du n° 6 dont elle était mitoyenne et avec lequel elle s’imbriquait, la propriété portant le n° 5/7 du passage Saint-Pierre était en partie bâtie sur le passage voûté qui conduisait à l’ancien cimetière Saint-Paul. Située à la rencontre des deux tronçons en équerre formant le passage Saint-Pierre, elle possédait deux entrées placées de part et d’autre de la voûte marquant l’angle de la voie, cette particularité expliquant sa double numérotation.
Issu comme les bâtiments voisins des biens de l’ancienne Fabrique Saint-Paul nationalisés en 1792, le n° 5/7 fut vendu le 28 fructidor an IV (14 septembre 1796) « moyennant 8 100 francs au citoyen Berger, demeurant quai des Augustins, n° 48 »[1]. Antoine-Dominique Berger mourut en 1814. Sa veuve, Jeanne-Françoise Minnonet, décédée en 1826, désigna Clotilde-Égalité Villain, épouse de Jean-Pierre-Joseph Collin, comme héritière universelle. Clotilde-Égalité mourut en 1842, son mari en 1843, et leurs enfants se défirent de leur bien qui fut vendu par adjudication à Honoré-Joseph Texier, brasseur au 232 rue du Faubourg Saint-Antoine. A son décès en 1861, la propriété fut acquise, par adjudication là encore[2], par l’un de ses fils, Jules-André Texier. Puis en 1887, elle fut achetée par Alphonse-Alexandre Foiret, habitant Villiers-sur-Marne, contre la somme de 54 000 francs [3].
La description de la maison établie en 1862 et reprise dans les relevés cadastraux de 1876 et 1901 précisait sommairement que la maison se composait de « deux corps de bâtiment reliés par l’escalier, simple en profondeur, élevés sur cave d’un rez-de-chaussée et de cinq étages »[4]. Plus précis, l’avis de mise en adjudication de la propriété en 1862 la dépeignait ainsi : « Maison élevée sur caves, partie d’un rez-de-chaussée, de quatre étages carrés et d’un cinquième lambrissé, et partie d’un rez-de-chaussée, de cinq étages carrés et d’un grenier ; cour d’entrée et petite cour »[5]. En 1876, le cinquième étage lambrissé fut transformé en étage carré. Construit en moellons avec une couverture en zinc, l’immeuble était considéré en 1898 en « assez bon état« . Une fontaine dans une des courettes avait remplacé le puits de la cave et les habitants avaient la chance de disposer de 5 toilettes, une par étage.

D’autres détails donnés ailleurs dans ces calepins et la confrontation des plans parcellaires peuvent nous permettre d’esquisser des transformations subies par la maison entre la moitié du XIXe siècle et 1910/1911, années de sa démolition.

D’une superficie totale de 186 m², la propriété présentait, sur la partie étroite du passage Saint-Pierre donnant vers la rue Saint-Antoine, une façade composée d’un magasin en rez-de-chaussée sans étage et d’un mur droit clôturant une cour de 45 m². De 1866 à 1879[6], le magasin fut occupé par A. Boisson, un boisselier, qui succéda à un tapissier en meubles nommé Bénard. Le bail comprenait également un hangar et un atelier dans la cour. Auparavant et depuis 1850, l’atelier de Boisson, qui fabriquait des ustensiles pour les marchands de charbon, était installé dans l’immeuble du n° 13 du passage.

La boulangerie du passage
Un boulanger, Semler[7], prit la suite du boisselier en 1880, et dès l’année suivante, d’importants travaux de réaménagement furent entrepris. Le magasin fut transformé en boutique, deux pièces avec feu lui furent ajoutées à l’arrière et la cour de l’immeuble fut en grande partie couverte en « zinc et vitrage », ne laissant subsister que des courettes. La boulangerie du passage Saint-Pierre maintint son activité jusqu’à la disparition de l’immeuble. En 1886, Semler fut remplacé par deux boulangers, Jacob Oschapow et Aronsohn . Oschapow, né à Proroszlev en Pologne en 1854, avait d’abord été ouvrier en casquettes et marchand de fruits avant de prendre à bail la boulangerie, peut-être avec un membre de la famille de sa femme, Fanny Aronsohn, une couturière elle aussi née en Pologne, à Salauten en 1857, et qu’il avait épousé en 1879 [8]. Ils firent partie de la vague de migrants juifs polonais qui, pour échapper à la répression et aux pogroms, quittèrent en grand nombre leur pays à partir des années 1860-1870, le mouvement s’amplifiant au cours des années suivantes en s’étendant à d’autres pays de l’Est européen. Un grand nombre de ces immigrés s’installèrent dans le 4e arrondissement, et notamment dans ce quartier dont les rues furent bientôt marquées par la « présence de petits restaurants kasher, de boulangeries et de charcuteries typiques »[9]. En 1893, B. Adelmann prit leur succession dans la boulangerie.
La seconde entrée de la propriété, qui portait le n° 7, était située dans la partie du passage orientée vers la rue Saint-Paul, juste à gauche de l’entrée de la circulation voûtée. Une porte simple donnait accès à une petite courette, puis à une entrée ouvrant sur l’escalier qui joignait les deux corps de bâtiment. Avant cette porte simple, une boutique donnant sur le passage occupait le rez-de-chaussée. D’abord loge pour le concierge, le local devint une boutique de marchands de vins qui fut tenue entre 1867 et 1895 par une succession de commerçants : Debas, Paquet, Gosse, Rejeaud puis sa veuve, la veuve Boutet puis son fils François qui laissa finalement la place à un épicier au détail, Aubry. En 1900, Danteuille, autre épicier tenant boutique au 37 de la rue Saint-Paul repris le local comme entrepôt, puis un dernier marchand de vins, Charlet, tenta sa chance en 1903 mais elle tourna court . Le lieu retrouva alors sa fonction de loge pour le concierge de l’immeuble[10].

Les deux parties de l’immeuble d’habitation étaient mitoyennes sur leur arrière au niveau du rez-de-chaussée avec les bâtiments du service de messagerie qui occupaient l’ancien terrain où se dressait jusqu’à la Révolution la prison Saint-Eloi. L’escalier, dont les paliers étaient éclairés par une fenêtre placée au-dessus de la petite courette du porche d’entrée, desservait les cinq étages occupés chacun par trois logements, sauf au troisième qui en comptait quatre. Du premier au 4e étage, on trouvait un appartement principal composé de deux pièces et d’une cuisine, augmenté d’une entrée ou d’un cabinet au 3e et 4e. Le montant de leur loyer dans les années 1860 tournait autour de 300 francs annuels, et était passé à 400 francs vers 1900 . Les autres logements des quatre premiers étages et les trois du dernier étaient plus modestes et comptaient deux pièces seules, ou une pièce avec cabinet et cuisine, ou une simple pièce. Les loyers de ces logis, d’environ 140 à 240 francs selon leur taille vers 1860, variaient de 190 à 300 francs à la fin du siècle.
Les locataires qui se sont côtoyés ou qui se sont succédé dans l’immeuble entre les années 1860 et 1880 appartenaient à des milieux modestes. Un employé, Quitard, un comptable, Majis. De nombreux artisans ou ouvrier artisans : Fournier, ébéniste, Singer et Verlet, imprimeurs, Lucas, menuisier, Ratchas, ouvrier tailleur, Lamare, tourneur sur cuivre, Leroy, ouvrier bijoutier, Lebègue, taillandier, Royer, marbrier, Carnet, serrurier, Ferré, cordonnier. D’autres travaillent dans le commerce, comme Bern, marchand de bimbeloterie, la dame Jassion, marchande des quatre saisons, Lejeune, garçon pharmacien. Les registres nous apprennent aussi que les veuves restaient dans leur logement après le décès de leur époux : les dames Bertinat, Desjardins, Keller, Chabrié, Lecomte, Truphémus travaillaient peut-être au lavoir qui se situait au pied de leur immeuble.

En 1897 vivait aussi dans l’immeuble un vitrier, Aurélien Togni, « sujet italien » et sans aucun doute apparenté aux Togni qui faisaient métier de vitrier dans l’immeuble voisin, au n° 3. Le 5 août de cette année, il lui arriva une drôle de mésaventure. En revenant, « un peu pris de boisson », de Montreuil-sous-Bois où il était allé « toucher une note », il fut agressé aux portes de Paris par six individus qui, sous la menace d’un couteau, lui soutirèrent en échange de la vie sauve « la somme de quatre-vingt-dix-huit francs, tout ce qui lui restait » après être passé par quelques comptoirs. Aurélien Togni ne put qu’aller « raconter sa mésaventure au commissaire de police »[11].
Comme la plupart des immeubles du passage Saint-Pierre, l’immeuble du n°5/7 était condamné par l’élargissement et le prolongement de la voie jusqu’à la rue Beautreillis. En 1909, 50 personnes vivaient dans ses murs, huit de plus que 15 ans auparavant[12]. La plupart payait leur loyer à quelques locataires principaux qui ne disposaient que de baux verbaux et qui eux-mêmes devaient vivre en partie de la sous-location des logements[13]. En 1910, tous quittèrent l’immeuble qui fut, avec celui du n° 6, le premier à tomber pour que soit percée la future rue Neuve-Saint-Pierre.
(à suivre)
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[1] Sommier des biens nationaux de la ville de Paris conservé aux Archives de la Seine…, publié par H. Moran et L. Lazard, 2 tomes, Paris, Cerf, 1920, T.2, p. 530.
[2] Gazette nationale ou Moniteur universel, 19 mars 1862.
[3] Relevé des propriétaires établi à partir de Archives de Paris, DQ18-263, Sommier foncier 1809-1859 ; D1P4 1055, Calepin des propriétés bâties passage Saint-Pierre 1862-1901 ; complété par Archives nationales, https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/rechercheconsultation/consultation/ir/pdfIR.action?irId=FRAN_IR_042300. Foiret était domicilié à Nice en 1910.
[4] Sauf indications supplémentaires, la restitution proposée a été établie à partir de Archives de Paris, D1P4 1055, Calepin des propriétés bâties 1862, 1876 et 1901 ; 3589W1653, Casier sanitaire passage Saint-Pierre et rue Neuve-Saint-Pierre, 1877-2007.
[5] Gazette nationale ou Moniteur universel, 19 mars 1862
[6] Annuaire-almanach du commerce, de l’industrie, de la magistrature et de l’administration ou almanach des 500.000 adresses de Paris, des départements et des pays étrangers, Paris, Firmin Didot et Bottin réunis, années correspondantes.
[7] A noter que Semmler ou Semler est un nom allemand « désignant le boulanger qui fait du pain blanc » ; Semmel désigne un petit pain blanc. (https://www.geneanet.org/nom-de-famille/SEMLER)
[8] Informations trouvées sur https://gw.geneanet.org/sylviegavand?lang=en&iz=1325&p=jacob&n=oschapow, https://gw.geneanet.org/sylviegavand?lang=en&iz=1325&p=fanny&n=aronsohn, https://fr-fr.facebook.com/686607834810185/posts/g%C3%A9n%C3%A9alogie-juive-actes-de-mariagescommune-de-paris-04eme-arrondissement-seine-fr/699026326901669/
[9] Histoire et mémoires des immigrations en Ile-de-France depuis 1789, Histoire et mémoire des immigrations en régions et dans les départements d’outre-mer, http://barthes.enssib.fr/clio/acsehmr/idfr.pdf
[10] Annuaire-almanach du commerce, de l’industrie…, op. cit., années correspondantes ; Archives de Paris, D1P4 1055.
[11] La Lanterne, 5 août 1897. Togni est orthographié Togné dans l’article, mais nul doute qu’il s’agit bien d’un membre de la famille Togni, vitriers passage Saint-Pierre.
[12] Archives de Paris, D1P4 1055, Calepin des propriétés bâties passage Saint-Pierre 1862-1901.
[13] Archives de Paris, VO11 3372, Dossiers de voierie, passage Saint-Pierre.
Bonjour
Toujours très intéressé par l’histoire
de ce passage qui m’est cher en souvenirs. J’ai travaillé à l’hôtel qui fait l’angle Neuve st Pierre et Hôtel
saint Paul à la fin des année 80.
Je m’apprête aujourd’hui à faire ma prochaine rentrée scolaire..en face!
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Bonjour,
Merci de votre intérêt constant pour ces histoires de quartier qui s’égrènent bien doucement. J’ai deux-trois choses et des plans sur la construction de l’hôtel dont vous parlez qui serviront pour un prochain article.
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