Histoires de quartier… Histoire du cinéma Saint-Paul (2e partie)

La façade du Grand Cinéma Saint-Paul rue Neuve-Saint-Pierre en 1965, un an avant sa fermeture et sa démolition (Crédit photo Paris Historique, Philippe Bernard phot.).

Grandeur du muet

À l’époque de son ouverture, le Grand Cinéma Saint-Paul proposait chaque jour une séance en matinée, à 14 heures, et une en soirée, à 20 heures. Au cours de chaque séance, d’une durée de trois heures, était projetée une suite de films, dont un en tête d’affiche, et des actualités filmées, le tout entrecoupé d’attractions, d’intermèdes musicaux et « de deux entractes »[1].

La programmation de la première semaine d’exploitation du cinéma, début janvier 1916, se composait ainsi d’un film en exclusivité, Fleur de mal, « drame de la vie douloureuse », de Carmine Gallone, interprété par Lydia Borelli[2] ; d’un documentaire original, lui aussi en exclusivité, fruit de « dix années de labeur », Les oiseaux vivent leur vie ; également Maud et tante Zélie, « une comédie amusante jouée par la délicieuse Miss Campton » ; des films comiques, Amour et moto, Le Bal masqué, et aussi un drame du Far West, Sauvé par son cheval. Des « films du front », rappelant que le pays est en guerre, et le Saint-Paul Journal, qui présentait des « faits divers mondiaux », complétaient un riche programme qui chaque semaine était renouvelé[3].

Le Journal, 15 janvier 1916.

La semaine suivante, le grand film de la programmation fut Alsace, « drame patriotique » et œuvre marquante en cette époque de guerre, avec dans le rôle principal Réjane, la grande artiste de théâtre et la rivale de Sarah Bernhardt. Le 22 janvier, on trouvait à l’affiche un mélodrame plein de rebondissements et d’action, Le jockey infernal (The jockey of death), film américain d’Alfred Lind[4], puis le 29 janvier, l’École de héros, « grand drame napoléonien en cinq parties »[5]. La semaine du 5 février, Charlie Chaplin, dans Charlot champion, partagea l’affiche avec La fille de la jungle, « film dramatique captivant » et « remarquable tableau de la jungle »[6].

Le Journal, 22 janvier 1916.
Source : IMDb
Le Journal, 5 février 1916.

Partenaire obligé de ce cinéma silencieux, de la musique jouée par un orchestre ou par un seul pianiste accompagnait l’image, traduisant et intensifiant les actions, les émotions et les sentiments exprimés par le jeu sans parole des acteurs. La qualité des musiciens engagés par les salles comptait dans l’appréciation du spectacle. Pour assurer la partie artistique et musicale de leur cinéma, le choix des directeurs du Saint-Paul s’était porté sur le « musicien et chef d’orchestre bien connu » et expérimenté, Paul Latombe[7], qu’ils avaient débauché de l’Olympia-Revue où il dirigeait l’orchestre du music-hall.

Comœdia illustré, 15 septembre 1920.

Le cinéma Saint-Paul devint rapidement l’un des grands cinémas parisiens générant de confortables recettes[8] qui passèrent de 109 925 francs en 1916 à 189 460 en 1917, pour atteindre 515 310 francs en 1918[9]. Le capital social de la Société Générale des Grands Cinémas fut porté de 800 000 à 1 500 000 francs en 1917[10] avec l’émission de nouvelles actions. Dans les années qui suivirent, des modifications dans son actionnariat et une forte réduction de son capital aboutirent à sa cession à la Société Générale d’Attractions de Louis Aubert[11]. Ce dernier contrôlera en quelques années vingt-et-un « théâtres cinématographiques » parmi les plus grands, dont dix-sept à Paris, offrant « chaque jour 30 000 fauteuils au public »[12].

L’avènement du parlant

A la fin des années 1920, Aubert et la société Gaumont s’associèrent pour créer le « circuit Aubert-France-Film-Gaumont ». Ce phénomène de concentration s’imposait pour faire face à l’augmentation des coûts de production et en

Le Journal, 18 janvier 1929.

particulier celui de l’équipement des salles, rendu nécessaire avec l’arrivée des premiers films sonores américains, les « talkies ». Le Chanteur de jazz, premier film parlant, sortit en France en janvier 1929. Dans les six mois qui suivirent, le Saint-Paul, dès janvier, et progressivement les autres salles Aubert-Gaumont furent équipés du système Western Electric. L’« exploitation sonore était enfin devenue une réalité », pour ne pas dire une nécessité, « autant dans les salles d’exclusivité que dans celles des quartiers ou de province »[13

Sources : DVD Toile.com et Le Siècle, 24 janvier 1920.

Dans l’entre-deux-guerres, le cinéma Saint-Paul épousa les transformations de son quartier et accueillit de nouveaux spectateurs. Claude Dubois, dans son livre, rappelle ce souvenir du chanteur Francis Lemarque[14] : « Francis allait aussi au Ciné Saint-Paul. De son vrai nom Nathan Korb[15], explique-t-il dans J’ai la mémoire qui flanche, Lemarque était d’origine juive. La précision prend tout son sens quand il écrit : « Je me souviens encore … quand le premier film sonore, parlant et chantant, Le chanteur de jazz, a été présenté au cinéma Saint-Paul dans le 4e arrondissement, tous les immigrés des alentours se sont précipités pour entendre Al Jolson […] interpréter cette émouvante chanson, Mamy […]. Aux quatre coins de la salle, on entendait un bruissement de traductions simultanées faites en yiddish, russe, polonais, lithuanien, roumain… »[16].

L’évènement, 23 juin 1918.

Contre-champ : le cinéma, lieu de sociabilité et d’éducation

Le cinéma était source de passions multiples, et déjà de passions politiques. En octobre 1921, la projection du film anti-bolchévique La Russie rouge provoqua au Saint-Paul, comme dans d’autres cinémas parisiens, des manifestations hostiles organisées par les communistes. Ceux-ci firent pression sur les exploitants, sous peine d’envahissement de leurs salles, pour qu’ils retirent le film de leur programme, ou au moins que les « passages d’ horreurs faussement imputés aux bolchéviques » fussent coupés. Au cinéma Saint-Paul, les militants organisèrent « le plus glorieux chahut qui soit », et, écrivit L’Humanité, « des milliers de spectateurs acclamèrent Lénine et Trotski ». La direction du cinéma, ne voulant sans doute pas se couper de son public, essentiellement issu des milieux populaires, préféra céder aux exigences et censura une partie des scènes du film[17].

Paris-Soir, 11 janvier 1932.

Certains matins, le cinéma Saint-Paul pouvait être réservé pour d’autres activités. Ainsi le 16 octobre 1920, le Comité de propagande en faveur du 6e Emprunt national, émis à la suite des cinq premiers qui avaient rythmé les années de guerre, organisait dans la salle une manifestation autour des édiles municipaux, de sénateurs et de députés. « Mlle Delvair et M. Le Roy, de la Comédie française, la musique du 89e régiment et les films Gaumont »[18] étaient là pour promouvoir la collecte.

Entrée du cinéma 38 rue Saint-Paul en octobre 1941 (source : Parimagine-Fonds Arsenal, photo publiée par Autour de Paris.com).

Le cinéma fut aussi rapidement envisagé comme outil d’instruction, et la Société française d’histoire de l’art à l’école considérait, dès 1912, que l’« éducation de la petite enfance [devait] être complétée » par des films choisis. Expression de cette volonté, portée dans le 4e arrondissement par son conseiller municipal, l’homme de lettres Léon Riotor (1865-1946), une séance réunissant trois mille enfants fut organisée un dimanche matin de novembre 1919 au cinéma Saint-Paul. On leur projeta, en les commentant, « 1) « Les athlètes de l’École militaire de Joinville » (normal et ralenti) ; 2) « Construction d’un navire en ciment armé » ; 3) « Les bourgeons et la fleur » (normal et ralenti) ; 4) « Voyage en Californie, au royaume des Dieux rouges » ; 5) Faits divers mondiaux ; 6) « La reine des poupées ». On sourit au récit que Riotor fit de cette séance au Conseil municipal de Paris : « Le silence et l’attention durèrent un quart d’heure. Puis les trépignements, les battements de mains, les exclamations les remplacèrent ; ce fut le hourvari. Vainement nous essayâmes de rétablir le silence. Toute leçon devenait impossible. Notre opinion était faite. Les enfants ne se déplaisaient pas, bien au contraire. Ils se plaisaient trop, mais ils n’écoutaient plus ». Et Riotor d’en déduire qu’il fallait des projections courtes et intermittentes, des explications avec interrogations et des élèves du même âge, en petit nombre et d’instruction égale[19].

D’autres expériences de cinéma scolaire se poursuivirent quand même au Saint-Paul. Ainsi en janvier 1937, un autre conseiller du 4e, le docteur Brunerye, y rassembla deux mille cinq cents enfants du quartier de l’Arsenal (cette fois accompagnés de leurs parents) pour y voir « deux films amusants et un documentaire sur la Norvège »[20].

Ciné-Journal, 17 novembre 1917.

Les grands films de l’entre-deux guerres, et aussi les autres, oubliés depuis, furent projetés au Saint-Paul, les annonces dans la presse égrainant leurs titres semaine après semaine. Mais au début des années 1930, le cinéma Saint-Paul, concurrencé par de nouvelles salles et desservi par la paupérisation grandissante du Marais, avait quitté la catégorie des cinémas d’exclusivité pour passer dans celle des salles de quartier. En 1932, il se classait tout de même par ses recettes au 19e rang parmi les vingt premières salles de Paris. Elles se montaient à 3 867 958 francs, certes loin des plus de 32 millions engrangés par le Paramount ou des 21 millions de l’Olympia[21]. Au cours des années 1930, Louis Aubert se désengagea progressivement de l’exploitation cinématographique et de son parc de salles, et le Grand Cinéma Saint-Paul finit par passer définitivement dans le giron de la Société nouvelle des établissements Gaumont en 1941[22].

Programme publicitaire du Cinéma Saint-Paul (1926)

Temps de guerre

Si la Seconde Guerre mondiale causa quelques perturbations dans le fonctionnement des cinémas, ils restèrent globalement ouverts durant les années de conflit et d’occupation. Le jour de la déclaration de guerre, le 3 septembre 1939, on jouait au Saint-Paul Blanche Neige et les sept nains, de Walt Disney[23]. Le film était sorti depuis plus d’un an déjà en France, mais le cinéma Saint-Paul ne pouvait plus bénéficier d’exclusivités comme celles réservées aux grands cinémas des boulevards.

Dans les semaines qui suivirent la déclaration de guerre, l’annonce des films projetés au Saint-Paul disparut des programmes des cinémas parisiens habituellement publiés dans la presse, et cela jusqu’à la mi-décembre 1939. On ne peut affirmer avec certitude que la salle baissa son rideau durant cette période. La presse, qui se consacrait alors aux évènements, pouvait parfois négliger l’information concernant notamment la programmation des salles de quartier dont « beaucoup rest[aient] ouvertes » comme cela était signalé dans la rubrique spectacles des journaux, bien réduite alors. Mais la mobilisation de son personnel ou d’autres contraintes techniques, administratives ou financières auraient pu justifier pour le cinéma cette cessation d’activité provisoire. En tout cas, le 14 décembre, le Saint-Paul réapparaît dans les programmes des cinémas parisiens, avec à l’affiche La Chevauchée fantastique, de John Ford, sorti en France au mois de mai précédent, avec en complément une reprise de Si tu veux, film français d’André Hugon, sorti en 1932 et produit par Gaumont et Aubert, les sociétés propriétaires du Saint-Paul.

Six mois après, lorsque les Allemands entrèrent dans Paris le 14 juin 1940, le Saint-Paul projetait un vieux Charlot de 1918, Une vie de chien, et La Loupiote, film de 1937. Sans doute ferma-t-il de nouveau avant de rouvrir ses portes fin octobre 1940, proposant à son public Dernière jeunesse, avec Raimu et Pierre Brasseur au générique. Comme presque tous les cinémas parisiens, l’écran du Saint-Paul ne s’éteignit pas durant toute la période de l’Occupation. Il ne ferma que le 24 juillet 1944, un mois avant la libération de la Paris, clôturant cette sombre époque avec le deuxième volet d’une adaptation franco-italienne du Comte de Monte-Cristo, sortie en 1943, intitulé Le Châtiment. Les coupures d’électricité que subissait la capitale obligèrent à ce moment-là les autorités à ordonner la fermeture de presque tous les cinémas et des spectacles nocturnes, ainsi que la réduction du trafic des métros.

Rebondissements

Il est difficile de savoir à quelle date le Cinéma Saint-Paul rouvrit ses portes après la libération de Paris le 25 août 1944, et dans quelles conditions. La reprise de l’exploitation des salles parisiennes ne fut pas immédiate et se fit par intermittence en raison des restrictions, notamment d’électricité. Certains cinémas, comme le Gaumont-Palace, furent même réquisitionnés au printemps 1945 pour organiser l’accueil des prisonniers de retour de captivité[24].

Des projections reprirent en tout cas au Saint-Paul en octobre 1944 et se prolongèrent tout le mois avec la diffusion du film Résistance : libération de Paris. Ce documentaire tourné lors des combats qui libérèrent la capitale occupa les écrans d’un groupe d’une dizaine de salles parisiennes durant la même période[25]. Après peut-être une nouvelle période de fermeture, l’exploitation cinématographique au cinéma Saint-Paul reprit un cours normal à partir de février 1945 avec à l’affiche un film de Jean Anouilh, Voyageur sans bagage, sorti début 1944, suivi dans les semaines suivantes par Le carrefour des enfants perdus, de Léo Joannon (1944) et par La bataille de l’or, western américain de Michael Curtiz de 1938[26].

Le Grand Cinéma Saint-Paul ne retrouva pas après-guerre la qualité de cinéma d’exclusivité qu’il avait déjà perdue depuis les années 1920. Les films qui y étaient projetés à la fin des années 1940 étaient sortis depuis plusieurs semaines, voire plusieurs mois dans les principaux cinémas parisiens. Notre cinéma devait aussi avoir vieilli depuis sa construction en 1915, alors que le quartier lui-même souffrait des destructions liées aux démolitions des immeubles de l’îlot 16, commencées au cours de la guerre. Voulant peut-être accompagner cette politique de rénovation, désirant sans aucun doute attirer un nouveau public, la Gaumont, propriétaire du cinéma, décida en 1950 d’entreprendre d’importants travaux qui transformèrent la physionomie de cette « bonne et vieille salle »[27].

Le cinéma baissa son rideau le 27 septembre sur un dernier film dont le titre, Prélude à la gloire[28], voulait peut-être présager d’un renouveau.

Coupe longitudinale de la salle et de la cabine (La Cinématographie française, 20 janvier 1951).

Le chantier fut placé sous la direction de Georges Peynet[29], un spécialiste de la conception et de la rénovation des salles de cinéma et par ailleurs architecte attitré de Gaumont. Dans son programme, il s’agissait de « refaire totalement cette salle, qui comprenait 2000 places et [verrait] sa capacité ramenée à 1200 fauteuils » . Les dimensions, « trop vastes de ce véritable vaisseau », devaient être réduites « à des proportions plus raisonnables pour le quartier ». [30]

La primauté de l’entrée placée rue Saint-Antoine fut confirmée. La nouvelle disposition inversée de l’écran avait de fait réduit à presque rien l’espace du hall d’accueil de la majestueuse entrée à deux baies placée à l’angle des rues Saint-Paul et Neuve-Saint-Pierre. Elle fut reléguée au rôle de sortie. Côté Saint-Antoine, la façade fut « transformée, revêtue en mosaïque avec un très grand panneau publicitaire et des vitrines à photographies ». Le hall, au sol en « ciment-pierre et mosaïque » était éclairé au néon et lui aussi équipé de vitrines à photographies. La salle était « jaune d’or et pourpre, moquette pourpre sur le sol et les soubassements, sur les murs tissu acoustique jaune d’or sur lequel se [détachaient] des appliques en cristal au chiffre Gaumont avec un éclairage à incandescence ». En fond de salle, l’ancien balcon fut supprimé et remplacé par une mezzanine, surélevée et en pente. Les portes étaient toutes en acajou verni et les balustrades de la mezzanine en cuivre. Outre une cabine de projection équipée des « derniers perfectionnements de la technique moderne », la salle bénéficiait d’une « climatisation parfaite et assurée par une installation de renouvellement d’air ». Les travaux furent rondement menés en « quatre-vingt-neuf jours »[31].

La salle et l’écran, vus depuis la mezzanine (La Cinématographie française, 20 janvier 1951).

La mezzanine, vue depuis l’écran (La Cinématographie française, 20 janvier 1950).

La salle put rouvrir peu avant Noël 1950, le samedi 16 décembre, avec au programme Le rosier de Mme Husson, un film de Jean Boyer, avec Bourvil, sorti le 29 septembre précédent, puis la semaine suivante, Meurtres ?, de Richard Pottier, avec Fernandel et Jeanne Moreau, film à l’affiche sur des écrans parisiens depuis un mois et demi. Lui succéda un film déjà sorti six mois auparavant, Vendetta en Camargue. Dans les travaux de rénovation au cinéma Saint-Paul entrepris par la Gaumont n’entrait donc pas l’ambition de lui redonner le statut de salle d’exclusivité et le lustre qui accompagne ce statut. Le Saint-Paul allait rester une salle de quartier.

Source : Ciné-facades.

Clap de fin

La décennie qui suivit la rénovation du Saint-Paul fut le point culminant de l’âge d’or des salles de cinéma en France. Le nombre d’entrées, qui étaient de 370,6 millions en 1950, atteignit 411,9 millions en 1957. Notre salle profita sans aucun doute de cette embellie. Mais dès la fin des années 1950, la fréquentation des cinémas en France s’effondra brutalement descendant à 354,6 millions en 1960, puis perdant 7 % de spectateurs supplémentaires chaque année avant de se stabiliser et de se maintenir aux alentours de 180 millions dans les années 1970[31].

L’ancienne entrée du Grand Cinéma Saint-Paul à l’angle des rues Saint-Paul et Neuve-Saint-Pierre en 1965, un an avant la fermeture, masquée par des panneaux publicitaires. Cette entrée est transformée en sortie en 1950, au moment des travaux de rénovation de la salle (Crédit photo Paris Historique, Philippe Bernard phot.).

Cette décrue brutale, directement corrélée au développement et à la montée en puissance de la télévision, fut fatale à de nombreuses salles.

A Paris, leur nombre passa de 347 en 1955 à 300 en 1965[33], et le Grand Cinéma Saint-Paul ne fut pas épargné. Cinquante ans après son ouverture, son écran s’éteignit définitivement la dernière semaine de 1966 après avoir proposé à ses derniers spectateurs Martin soldat, une comédie de Michel Deville. La Gaumont, qui trois ans auparavant avait déjà envisagé pour son compte la démolition de la salle et la construction d’un bâtiment de six étages[34], la céda à une société civile immobilière nommée «Résidence Saint-Paul » en vue de la construction d’« un bâtiment de cinq étages et un comble à usage d’habitation (88 logements) sur rez-de-chaussée, un sous-sol à usage de commerce et trois sous-sols à usage de parking pour 104 voitures »[35]. Le Grand Cinéma Saint-Paul disparut peu après sous la pioche des démolisseurs, laissant la place à l’immeuble que l’on voit aujourd’hui. Comme ce fut le cas pour nombre de cinémas parisiens dans ces années 1960 et 1970, les rayons d’un supermarché remplacèrent les fauteuils rouges de sa grande salle.  

Contrepoint de la photo placée en tête d’article, cette vue de la rue Neuve-Saint-Pierre aujourd’hui montre l’immeuble construit à la fin des années 1960 à l’emplacement du Cinéma Saint-Paul.

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Le bref propos qui suit n’est pas d’écrire l’histoire du Monoprix Saint-Paul qui a remplacé le cinéma. Mais il faut savoir que ce magasin ne lui a pas succédé, car les deux activités ont cohabité en voisins pendant de longues années. Au début des années 1950, la belle demeure bâtie au XVIIIe siècle située au 71 rue Saint-Antoine voisinait avec l’entrée du cinéma ouverte au numéro 73. Le rez-de-chaussée de ce numéro 71 était partagé entre, à droite, une pharmacie, toujours là, et à gauche une épicerie, tenue par un dénommé Fernand Muguet. Les affaires prospérant, Muguet installa en 1952 au numéro 69 mitoyen de sa boutique une charcuterie. En 1956, il réunit les deux boutiques qui devinrent, sans doute sous forme de franchise, le « Monoprix Muguet, bazar, 69-71 rue Saint-Antoine ». Avait-on cessé un moment d’y vendre des comestibles ? En 1966, au moment où ferme le cinéma, il devint le « Monoprix Muguet, magasin populaire », et c’est ensuite qu’il s’étendit sur l’ensemble des rez-de-chaussée des maisons des numéros 69 à73 (hormis la pharmacie), et sur celui du nouvel immeuble qui s’était élevé à la place du cinéma disparu[36].

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Cet article est notamment illustré de deux photos inédites du cinéma Saint-Paul prises en 1965 peu avant sa démolition. Elles appartiennent à la photothèque de Paris Historique, association qui œuvre depuis 1963 pour la sauvegarde du patrimoine urbain parisien, et notamment du Marais. Je les remercie vivement pour leur aide et leur accord pour les publier.

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[1] Jean-Jacques Meusy, Paris-Palaces ou le temps des cinémas (1894-1918), Paris, CNRS Éditions, 1995, p. 450.

[2] Lydia Borelli (1884-1959) fut une grande actrice du cinéma muet italien et connut une grande renommée au cours de sa courte carrière, de 1913 à 1918. Fleur du mal (Fior di male) fut un de ses grands succès. Carmine Gallone commence une carrière de réalisateur qui se poursuivra jusqu’en 1963 (source Wikipedia).

[3] Le Droit, 7 janvier 1916 ; Le Journal, 8 janvier 1916. D’abord fixé au samedi, le jour de changement d’affiche passa au vendredi au début des années 1920.

[4] Le Journal, 22 janvier 1922.

[5] Tel que le résume quelques mois plus tard La Dépêche algérienne, 10 octobre 1916.

[6] La Rampe, 27 janvier 1916.

[7] Le Temps, 21 octobre 1915. De Paul Latombe, nous savons qu’il fut au début du XXe siècle compositeur de la musique de pièces écrites par Harry Blount, auteur dramatique prolixe (Gil Blas, 15 janvier 1900, Le Journal, 26 mars 1900), et qu’il dirigea l’orchestre de la revue du Moulin Rouge en 1910 (La Presse, 27 juin 1910, La Petite République, 26 août 1910), puis celui de la revue de l’Olympia de 1911 à 1913 (L’Intransigeant, 10 novembre 1911, Gil Blas, 15 juin 1913). Après son engagement par le Cinéma Saint-Paul en octobre 1915, on le retrouve avec son orchestre au Casino de Paris-Cinéma (La République française, 24 août 1915). Latombe dirige en décembre 1920 l’orchestre du théâtre Mogador lors des représentations de l’opéra-bouffe Madame l’Archiduc, d’Albert Millaud sur une musique d’Offenbach. Le Figaro note qu’il « dirige avec un soin agité et beaucoup d’entrain un bon petit orchestre très entiché de féminisme à en juger par la présence à ses pupitres de deux violoncellistes et d’une petite flûte appartenant au sexe prétendue faible » (19 décembre 1920). Il exerce ensuite son art au théâtre Marigny (L’Avenir, 26 mars 1921), au Vaudeville (Comoedia, 2 août 1922), puis dirige l’orchestre de l’Apollo en 1925 (Le Figaro, 25 avril 1925 ; Le Gaulois, 14 juin 1925), au théâtre Marigny en 1928 (Comoedia, 2 juin 1928). En 1934, c’est pour les auditeurs de Radio PTT qu’il dirige un orchestre qui accompagne des artistes lyriques (Lyon républicain, 20 février 1934).

[8] Elles se montaient à 90 000 francs pour le mois de septembre 1920. Le record, détenu par le Aubert-Palace, était de 127 000 francs.

[9] Jean-Jacques Meusy, op. cit., p. 450.

[10] Une émission de nouvelles actions pour tenter de porter le capital à 4 millions de francs fut votée par l’assemblée générale en 1921 (Bulletin des annonces légales obligatoires à la charge des sociétés financières, 11 octobre 1920, et Le Rentier, 27 octobre 1920). 

[11] La Cinématographie française, 13 février 1926 : « La Société des Grands Cinémas a vendu à la Société Omnium Aubert, l’apport 1° d’un fonds de cinéma 38 rue Saint-Paul, 2° cinéma, 73 avenue d’Orléans ».

[12] La Critique cinématographique, 19 janvier 1929.

[13] Cinéa, 1er septembre 1929.

[14] Francis Lemarque (1917-2002), enfant du quartier, né rue de Lappe, auteur-compositeur-interprète et chanteur. Il fut l’un de paroliers d’Yves Montant.

[15] Ses parents étaient originaires de Russie et de Lituanie. Sa mère mourut en déportation à Auschwitz.

[16] Claude Dubois, La rue Saint-Antoine, Paris, éd. J. P. Rocher, 2011, p. 67.

[17] L’Humanité, 16 et 17 octobre 1921.

[18] L’Écho de France, 16 octobre 1921.

[19] Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, 25 mars 1926.

[20] Le Petit Parisien, 29 janvier 1937.

[21] Le Cinéopse, 1er août 1932.

[22] Selon une information obtenue de Gaumont par Claude Dubois, op. cit, p.67.

[23] La chronologie et les titres de films mentionnés dans cette partie ont été établis à partir des programmes des cinémas publiés dans la presse quotidienne. On a consulté pour cela L’Intransigeant, Le Petit Journal, La France au travail, La France Socialiste, Le cri du Peuple de Paris,…). Les informations particulières sur les films cités sont tirées de leur notice Wikipédia.

[24] Voir le site Salles-Cinéma.com 

[25] Franc-tireur, 10 octobre 1944 et suivants.

[26] Franc-tireur, 16 février 1945, 1er mars 1945, 8 mars 1945.

[27] Le Cineopse, 1er octobre 1950.

[28] Prélude à la gloire, film de Georges Lacombe, sorti en France le 16 juin 1950.

[29] Notice Wikipédia Georges Peynet (1904-1979).

[30] Le Film français, 22 septembre 1950.

[31] La Cinématographie française, 20 janvier 1951.

[32] Données disponibles sur la page Wikipédia consacrée à la Fréquentation cinématographique.

[33] Données APUR Atelier Parisien d’urbanisme.

[34] Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, 10 décembre 1963.

[35] Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, 8 septembre 1966.

[36] Notice établie à partir de l’Annuaire Didot-Bottin, années correspondantes.

Auteur : Gaspard Landau

Sous le nom de Gaspard Landau, j'explore l'histoire de ce bout du Marais qui, sur les bords de Seine, s'est érigé sur les fondations de l'ancien hôtel Saint-Pol. A côté de cela, sous le nom d'Olivier Siffrin, je suis bibliothécaire à la Bibliothèque nationale de France.

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