Histoires de quartier… La rue Neuve Saint-Pierre et l’ancien passage Saint-Pierre. 12 – Le passage perdu.

Pour accéder au cimetière qui, derrière l’église Saint-Paul, occupait avant la Révolution une grande partie du quadrilatère formé par les rues Saint-Antoine, Beautreillis, Charles V et Saint-Paul, on pouvait emprunter le passage ouvert sur la rue Saint-Paul, ou alors celui qui partait de la rue Saint-Antoine[1].

Le premier, dénommé cul-de-sac ou passage Saint-Eloi, ou Saint-Pierre, longeait d’un côté le flanc nord de l’église et était bordé de l’autre par les bâtiments, adossés à la Grange Saint-Eloi, où « habitait le clergé de la paroisse »[2]. Le second passage avait pour origine une nouvelle entrée que les marguilliers de la paroisse de Saint-Paul avaient pu, grâce à une ordonnance royale en 1636, faire ouvrir sur le bas-côté nord de l’église, près du cimetière. Et de là, « pour la commodité des paroissiens d’icelle leur faciliter l’entrée d’une porte du costé de la rue Sainct Anthoine », ils avaient fait transformer en chaussée un « ruisseau », ou sorte de petit passage, qui allait en direction de cette rue. Nommé communément Saint-Paul[3], ce passage et l’autre venant de la rue Saint-Paul se rejoignaient en équerre sous une voûte où, en passant par une grille de fer, on pénétrait dans l’enceinte du cimetière que des charniers en maçonnerie ouvragée entouraient sur trois côtés.

Or, sur plusieurs plans de Paris publiés entre 1728 et 1775, un troisième passage ne portant pas de dénomination particulière est représenté.

Parallèle au passage nommé Saint-Paul, il partait lui aussi de la rue Saint-Antoine pour aboutir à l’extrémité nord-est du quadrilatère formé par le cimetière. La documentation sur ce passage est à notre connaissance inexistante, et Lucien Lambeau semble être le seul historien de Paris à le mentionner, dans son étude sur le cimetière et l’église Saint-Paul [4], sans donner plus de précisions. Il écrit :

Le plan de Jaillot cité par Lucien Lambeau, mais aussi d’autres plans de Paris dressés du XVIIe au XIXe siècle, révèlent en effet la présence de ce troisième passage et permettent, dans la mesure de leur exactitude et de leurs qualités graphiques, de tenter de borner chronologiquement son existence dans le tissu urbain du quartier.

Sur les plans datant du XVIIe siècle, comme celui de Gomboust (1652), ou celui de Jouvin de Rochefort (1672), ainsi que sur ceux du début du XVIIIe siècle, comme celui de Jaillot dressé en 1723, seuls apparaissent les deux passages formant équerre et joignant le cimetière depuis les rues Saint-Paul et Saint-Antoine.

Plan de Gomboust (1652).
Plan de Jouvin de Rochefort (1672).
Plan de Jaillot de 1723.

Ce troisième passage donnant accès au cimetière Saint-Paul apparaît pour la première fois sur le plan de l’abbé Delagrive, édité en 1728 [5].

Plan de Delagrive (1728).

Sur ce plan détaillé, l’emplacement des bâtiments importants ou remarquables a été précisé. Outre l’église Saint-Paul (1), le cimetière (2) et les deux passages ou cul-de-sac Saint-Eloi (3) et Saint-Paul (4) se rejoignant à l’angle du chevet de l’édifice religieux, on distingue notamment, et entre autres, la prison Saint-Eloi (5), l’hôtel de Brinvillier (6), rue Neuve-Saint-Paul (aujourd’hui Charles V), l’hôtel de Charny (7) et l’hôtel de Lionne (8) rue Beautreillis, avec leurs jardins. Rue Beautreillis encore, le cartographe a distingué dans le bâti l’hôtel (9) qui occupait l’emplacement des futurs n° 21 et 23 de cette rue.

Sur l’arrière de ces derniers bâtiments, appuyant à son angle sud-ouest une aile sur la maison (10) qui au début du XXe siècle sera la crèche de l’arrondissement, on remarque une longue construction perpendiculaire (11) à la rue Saint-Antoine. Le nom de H[ôtel] Michel lui est accolé sur le plan, mais nous ignorons encore tout de cette demeure et de son histoire.

On remarque aussi que cet hôtel étroit et tout en longueur est encadré par deux étroits passages ouverts sur la rue Saint-Antoine : le premier sur sa gauche se termine en cul-de-sac vers ce qui semble être une cour ; le second sur sa droite, passe derrière les hôtels des 21-23 rue Beautreillis et finit dans le cimetière, ou du moins sur les arrières des charniers qui l’encadraient.

Ce troisième accès vers le cimetière Saint-Paul apparaît aussi sur le plan de Roussel (1730-1739). Il est plus sommaire que le plan de Delagrive, mais l’emplacement et la forme générale de ce nouvel accès sont les mêmes.

Plan de Roussel (1730-1739).

Sur le plan de Jaillot, daté de 1762, ce troisième passage est toujours représenté.

Plan de Jaillot (1762).

Si l’aspect et les constructions qui bordaient les passages ou culs-de-sac Saint-Pierre et Saint-Paul au XVIIIe siècle ont pu être en partie restitués au fil des articles précédents, c’est parce qu’ils survécurent au siècle suivant, laissant des traces dans les archives administratives et iconographiques avant de disparaître au début du XXe siècle. Sur ce troisième passage sur lequel nous ne savons rien, nous ne pouvons qu’émettre des hypothèses, la confrontation des différents plans apportant parfois de nouvelles incertitudes. Ainsi, à l’image des deux autres passages, son ouverture sur la rue Saint-Antoine passait-elle par un porche percé sous une maison ? Est-ce ce que le cartographe a voulu représenter sur le plan de Vaugondy (1766), où l’accès sur la rue Saint-Antoine est fermé. Mais alors, pourquoi n’a-t-il pas fait de même dans la représentation des deux autres passages dont l’entrée, nous le savons, passaient par des porches ouverts sous des maisons ?

Plan de Vaugondy (1766).

C’est sur le plan de Jaillot édité en 1775 que ce passage apparaît pour la dernière fois. Si son ouverture sur la rue Saint-Antoine est représentée, l’accès sur le cimetière à l’autre extrémité semble fermé. Dans son étude publiée en 1865, Paul Lacroix écrivait que les charniers du cimetière Saint-Paul se composaient « d’une galerie large de trois mètres vingt centimètres et haute de trois mètres, fermée extérieurement par un mur plein, et à jour du côté du cimetière, comme un cloître »[6]. Ce troisième passage donnait-il donc sur un mur, ou pour le moins sur un cheminement longeant la clôture ? Ou existait-il à l’extrémité de ce passage un accès vers le cimetière, par le biais d’une ouverture pratiquée dans cet enclos, ou percée à l’arrière de la chapelle d’angle sur laquelle il aboutissait ?


Plan de Jaillot (1775).

Une quinzaine d’années plus tard, sur le plan de Verniquet, dressé dans les années 1790 sur des bases topographiques très précises relevées entre 1785 et 1789, le passage n’apparaît plus.

Plan de Verniquet (1796).

Néanmoins, les relevés du parcellaire établi dans les années 1810-1850, après la désaffectation du cimetière, montrent clairement dans le bâti la trace du passage, entre deux long mur sans ouvertures. S’il semble resté ouvert côté rue Saint-Antoine, son extrémité côté cimetière a été occupée et fermée par une des constructions qui se sont élevées dans les cours et jardins de l’hôtel déclassé de l’ancien 21 rue Beautreillis, devenu un bâtiment industriel.

En 1 et 2, l’ancien emplacement de l’église Saint-Paul et de son cimetière ; en 3 la partie passage Saint-Pierre débouchant sur la rue Saint-Paul et en 4, celle allant vers la rue Saint-Antoine ; en 5, l’ancien emplacement de la prison Saint-Eloi ; en 6, les hôtels couplés des 21 et 23 rue Beautreillis ; en 7, l’emplacement de ce mystérieux hôtel Michel.

On note aussi que le bâtiment tout en longueur, cet hôtel Michel, qui apparaissait sur le plan de Delagrive de 1728 encadré par le passage à sa droite et par une allée donnant sur cour à sa gauche, est toujours là, ou du moins son empreinte dans le parcellaire, avec la légère inclinaison de sa partie nord.

Quelques dizaines d’années plus tard, dans le dernier quart du XIXe siècle, le nouveau plan parcellaire alors montre une modification sensible des constructions.

Un nouvel immeuble, élevé légèrement en retrait sur l’alignement de ses voisins, a été bâti 176 rue Saint-Antoine (aujourd’hui n° 55), là où se situait l’entrée de ce troisième passage, qui semble avoir disparu sous les constructions élevées sur la parcelle.

Jamais décrit, ce passage oublié et sans nom n’a laissé de traces que sur des plans. Mais il témoigne de l’existence de tout cet ensemble de passages et de voies de traverse qui irriguaient les îlots d’habitations du Paris ancien, et dont quelques exemples subsistent encore, notamment autour de la rue du faubourg Saint-Antoine, comme les passages du Cheval Blanc, de la Boule Blanche ou du Chantier.

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[1] L’histoire de ces passages et des bâtiments et maisons qui les bordaient est l’objet de la série des articles précédents portant sur l’ancien passage Saint-Pierre et la rue Neuve-Saint-Pierre.

[2] Lucien Lambeau, L’ancien cimetière Saint-Paul et ses charniers, l’église Saint-Paul, la grange et la prison Saint-Eloi, Paris, Commission du Vieux-Paris, annexe au procès-verbal de la séance du 9 novembre 1910, p. 13.

[3] Abbé Leboeuf, Histoire de la ville et de tout le diocèse de Paris. Rectifications et additions par Fernand Bournon, Paris, Champion, 1901, Vol. 6, p. 332. Jacques Hillairet, dans son ouvrage La rue Saint-Antoine, Paris, Minuit, 1970, p. 158 fait une confusion en nommant Saint-Pierre la partie du passage donnant rue Saint-Antoine, et Saint-Paul celle donnant… rue Saint-Paul.

[4] Lucien Lambeau, op. cit. p. 14.

[5] Précisons aussi qu’il n’apparaît pas sur certains plans de Paris édités entre 1728 et 1776, comme sur le Neuvième plan de Paris, de l’abbé Delagrive de 1737 ; mais celui-ci est nettement plus sommaire et moins précis que son édition de 1728  https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b53085123z/f1.item

[6] Paul Lacroix, Les charniers du cimetière Saint-Paul, Revue universelle des arts, T. 22, 1865-1866, p. 286-304, p. 293.

Auteur : Gaspard Landau

Sous le nom de Gaspard Landau, j'explore l'histoire de ce bout du Marais qui, sur les bords de Seine, s'est érigé sur les fondations de l'ancien hôtel Saint-Pol. A côté de cela, sous le nom d'Olivier Siffrin, je suis bibliothécaire à la Bibliothèque nationale de France.

3 réflexions sur « Histoires de quartier… La rue Neuve Saint-Pierre et l’ancien passage Saint-Pierre. 12 – Le passage perdu. »

  1. Merci encore de nous révéler avec perspicacité et détermination l’évolution de ce quartier attachant.
    Grâce à votre acuité persévérante je découvre la richesse des archives historiques et cartographiques parisiennes.

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  2. Merci pour toutes ces précisions et pour l’observation méticuleuse d’un si petit périmètre. Existe-t-il des images du cimetière et de l’église Saint-Paul autres que les élévations en perspective qu’on voit sur les extraits de plans?
    Bravo pour ce travail.

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