Histoires de quartier… La rue Neuve-Saint-Pierre et l’ancien passage Saint-Pierre : retour en images.

Le passage Saint-Pierre en 1867, dans sa partie menant à la rue Saint-Paul (gravure de Alfred Alexandre Delauney, Musée Carnavalet).

Les articles publiés précédemment sur l’histoire du passage Saint-Pierre et sa transformation dans le premier quart du XXe siècle ont montré en quoi cette opération, longtemps réclamée par les édiles du quartier, visait à éradiquer l’insalubrité grandissante des bâtiments qui le bordaient. Ce qui toutefois précipita et accéléra la mise en œuvre des travaux d’élargissement des deux voies formant le passage ainsi que le dégagement de leur accès vers les rues Saint-Antoine et Saint-Paul fut sans aucun doute la décision prise en 1912 de reconstruire sur un modèle moderne et fonctionnelle l’école primaire de garçons établie là depuis 1845.

Mais les nouvelles rues Neuve-Saint-Pierre et de l’Hôtel-Saint-Paul qui succédèrent à l’ancien passage témoignent encore aujourd’hui d’une opération qui ne fut commandée par aucun véritable projet d’aménagement. Paradoxalement l’impression d’inachèvement que l’on observe résulte sans doute d’une destruction trop limitée et mal pensée du bâti existant. L’espace dégagé, trop réduit par endroit, resta inexploitable pour des reconstructions. En particulier la partie de la rue Neuve-Saint-Pierre qui la prolonge vers la rue Beautreillis, obtenue par la démolition d’un ancien hôtel, sans empiètement sur les parcelles voisines, ressemble encore aujourd’hui, comme hier, à une brèche restée en l’état.

L’ancien passage Saint-Pierre a été abondamment photographié avant sa disparition et lors de ses phases de destruction, notamment par Eugène Atget. Ces images, avec d’autres, ont illustré la série d’articles que nous lui avons consacré. De nouvelles photographies d’Atget, issues des collections du musée Carnavalet et récemment mises en ligne, viennent enrichir notre dossier en montrant le passage Saint-Pierre tel qu’il se présentait à l’époque où se terminait sa démolition et sa transformation en rue Neuve-Saint-Pierre. Les voici, présentées avec d’autres, pour un voyage dans le temps.

Nous sommes en 1905. Près de quarante ans après la gravure de Delauney, cette photo d’Atget montre la même partie du passage Saint-Pierre débouchant vers la rue Saint-Paul telle qu’elle était alors. On passait par le porche percé sous l’immeuble situé en bout pour y entrer ou en sortir. A gauche, des grilles délimitaient l’emprise de l’école communale de garçons construite en 1845, voisine de deux petits immeubles d’habitation. A droite s’alignaient les maisons où, jusqu’à la Révolution, logeaient les prêtres qui servaient l’ancienne église Saint-Paul. Elles furent en partie rebâties à la fin du XIXe siècle.

Nous sommes en 1914. Les bouleversements sont déjà immenses passage Saint-Pierre. Atget s’est placé presque exactement au même endroit que neuf ans plus tôt, là où aujourd’hui se rencontrent les rues Neuve-Saint-Pierre et de l’Hôtel-Saint-Paul. Là aussi où s’élevait le passage voûté où autrefois se situait l’entrée de l’ancien cimetière Saint-Paul. La pioche des démolisseurs est passée par là aussi peu de temps auparavant. Les maisons qui fermaient le passage Saint-Pierre ont disparu, emportant tout un pan de la rue Saint-Paul ; détruites aussi, celles qui bordaient la voie à droite. C’est une toute nouvelle perspective qui s’ouvre désormais et qui révèle la coupole de l’église Saint-Paul-Saint-Louis. Seuls ont subsisté, à gauche, l’école communale et les deux petits immeubles d’habitation. A droite, derrière les palissades, un vaste terrain a été dégagé par les démolitions. Bientôt y sera construit le grand immeuble du cinéma Saint-Paul et son immense salle de 2500 places.

Nous sommes dans l’entre-deux-guerres. Le beau tableau du peintre Nathan Grunsweigh (1880-1956) représente la même perspective de la rue Neuve-Saint-Pierre que les photos d’Atget. Il nous renseigne sur l’aspect de la façade du cinéma Saint-Paul dont l’entrée principale était située rue Saint-Antoine.

Le même point de vue aujourd’hui. L’ancienne école communale a été démolie en 1923, remplacée par une nouvelle construction. La triste façade moderne que l’on voit à gauche est celle de son annexe, bâtie en 1963. Dans son prolongement, les deux petits immeubles présents du temps d’Atget ont survécu. A droite, le cinéma Saint-Paul, fermé en 1967, a été détruit et remplacé au début des années 1970 par un immeuble sans grâce où s’est installé le Monoprix Saint-Paul.

Retour en 1914. Placé au même point, Atget a retourné son appareil pour prendre en photo un vieux bâtiment encore debout à l’ombre d’un arbre, et qui disparaîtra lui aussi sous peu. Il s’agit de l’ancienne maison qui, entre le XVIIIe siècle et ce début de XXe siècle, a successivement abrité la communauté des jeunes ouvrières indigentes de l’abbé Guéret, une école primaire supérieure de filles, puis depuis 1887 la crèche municipale du IVe arrondissement. L’élargissement prévu de la partie du passage Saint-Pierre rejoignant la rue Saint-Antoine, appelée à devenir la rue de l’Hôtel-Saint-Paul, le condamne.

Le même endroit aujourd’hui. Deux immeubles en briques à pan coupé bâtis dans l’entre-deux guerres marquent les angles de la rue de l’Hôtel-Saint-Paul et de la rue Neuve-Saint-Pierre. Ces constructions, qui font écho avec la façade de briques de l’école primaire située de l’autre côté de la rue, sont la seule manifestation d’un essai de mise en ordre ou d’aménagement architectural.

1914. Atget a avancé son appareil d’une vingtaine de mètres et fixé son objectif sur la perspective ouverte sur la rue Beautreillis au prix de la démolition de l’ancien hôtel qui s’élevait au numéro 21. Les pignons mis à nu des immeubles voisins et leur damier de papier peint sont autant de marques de blessures. En face, la brèche ouverte a dévoilé, au 22 rue Beautreillis, la façade de l’hôtel de Charny où Baudelaire vécut quelques mois auprès de sa maîtresse Jeanne Duval.

Aujourd’hui. Les murs pignon du 23 rue Beautreillis ont été remontés, ravalés, percés de fenêtres et embellis de balcons sans pour autant parvenir à se transformer en véritables façades. De l’autre côté, le pignon ravagé de l’immeuble du n° 17-19 est resté pratiquement en l’état. Recouvert d’une sorte de fresque ratée de couleur rose, soumise comme ailleurs aux ravages des tags, c’est assez naturellement que ce coin de la rue Neuve-Saint-Pierre et de la rue Beautreillis est devenu un lieu tout désigné pour le dépôt sauvage des encombrants et autres déchets. On s’en plaignait d’ailleurs déjà au milieu du siècle dernier quand marchands des quatre saisons de la rue Saint-Antoine et artisans et industriels du quartier jetaient au même endroit qu’aujourd’hui légumes avariés et débris de toutes sortes [1].

Sur la gauche, amputée de son extrémité, une aile d’immeuble ancien a survécu. Faute de profondeur suffisante, aucune construction nouvelle n’a pu sur ce bout de terrain remplacer le petit atelier bâti là en 1922, à la va-vite et dos à la rue[2].

1914. Atget a remonté la rue Neuve-Saint-Pierre vers la rue Beautreillis.  L’orientant de nouveau en direction de la rue Saint-Paul, il a posé son appareil là où se dressait peu de temps auparavant l’ancien hôtel du 21 rue Beautreillis. Plus loin, le bâtiment de la crèche et l’arbre de sa cour, puis tout au fond,  la rue Saint-Paul. A gauche, le chantier de la nouvelle école primaire alors en construction.

Aujourd’hui. A l’angle de la rue de l’Hôtel-Saint-Paul, on aperçoit l’autre immeuble de briques. Construit en 1927[3] c’était un hôtel meublé pour les ouvriers qui, de plus en plus nombreux, venaient travailler dans les ateliers et usines du quartier. C’est de nos jours devenu un hôtel 3 étoiles fréquenté par les touristes. Au premier plan, station Vélib’ et alignement de bornes de rechargement pour voitures électriques ont fini d’enlaidir cette partie de la rue Neuve-Saint-Pierre.

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Pour se situer, extrait du plan parcellaire de Paris.


[1] Voir au sujet des dépôts sauvages d’ordures à l’angle des rues Neuve-Saint-Pierre et Beautreillis le Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, 12 octobre 1946, 18 janvier 1948 et 2 décembre 1959.

[2] Archives de Paris, VO11 2370, Rue Neuve-Saint-Pierre, dossiers de voirie. Archives de Paris, 3589W1653, Rue Neuve-Saint-Pierre, casier sanitaire 1877-2007.

[3] Archives de Paris, 3589W1653, Rue Neuve-Saint-Pierre, casier sanitaire 1877-2007.

Auteur : Gaspard Landau

Sous le nom de Gaspard Landau, j'explore l'histoire de ce bout du Marais qui, sur les bords de Seine, s'est érigé sur les fondations de l'ancien hôtel Saint-Pol. A côté de cela, sous le nom d'Olivier Siffrin, je suis bibliothécaire à la Bibliothèque nationale de France.

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