Sous le nom de Gaspard Landau, j'explore l'histoire de ce bout du Marais qui, sur les bords de Seine, s'est érigé sur les fondations de l'ancien hôtel Saint-Pol.
A côté de cela, sous le nom d'Olivier Siffrin, je suis bibliothécaire à la Bibliothèque nationale de France.
Couverture du premier volume de La Cité, années 1902-1903 (BnF – Gallica)
Comme tant de choses ici et là, les évènements survenus ces trois derniers mois ont en quelque sorte suspendu le récit entrepris ici depuis 2017. Pourtant l’ambition initiale, modeste mais tenace, reste entière, même si le rythme des publications s’est ralenti. Nous étant un peu éloignés de la rue Beautreillis il y a deux ans pour explorer l’ancien passage Saint-Pierre, disparu au début du XXe siècle, notre séjour en cette voie oubliée s’est prolongé. Nous n’en sommes pas encore tout à fait sortis, tant il y a à redécouvrir. Et nous n’avons pu entreprendre à ce jour que quelques excursions rue Saint-Paul et rue Saint-Antoine.
Lors de la séance du Conseil municipal du 7 novembre 1898[1], le conseiller Charles Vaudet dénonça l’autorisation donnée par l’administration départementale à l’extension du lavoir situé passage Saint-Pierre. La Commission d’hygiène du 4e arrondissement et la municipalité s’opposaient pourtant à ce projet et s’inquiétaient du risque de voir s’aggraver l’insalubrité d’une voie étroite où se côtoyaient école, crèche et habitat vétuste et où, en 1884, avait débuté une épidémie de choléra.
Réagissant à cette décision, Charles Vaudet mit alors les autorités préfectorales en demeure d’exécuter un vieux projet oublié, la décision ministérielle du 25 juin 1818 portant création de deux nouvelles rues ouvertes sur les deux portions confinées du passage Saint-Pierre. Le conseiller municipal rappelait que la partie des terrains nécessaires à ces tracés était grevée de réserves domaniales, faisant ainsi de la Ville la propriétaire du sol sur lequel pouvaient être percées les rues. Les propriétaires des maisons ou parties de maisons construites dessus n’ayant que l’usufruit du terrain, ils ne pourraient que se soumettre et les céder si la municipalité se décidait enfin à réaliser ces travaux.
Les vestiges de l’ancien clocher de l’église Saint-Paul, à l’angle actuel de la rue Saint-Paul et de la rue Neuve-Saint-Pierre, tels qu’ils apparurent lors de la démolition du 34 rue Saint-Paul, en 1914 (Source : BHVP).
Automne 1913. Nous sommes au moment où la pioche du démolisseur va faire disparaître les maisons que nous avons visitées au cours des derniers mois. Les numéros 6 et 7 du passage Saint-Pierre sont déjà à terre et leurs voisines des numéros 2, 4, 9, 11 et 13 vont subir le même sort, comme rue Saint-Antoine les maisons des numéros 59, 63 et 65, et rue Saint-Paul, celles des numéros 34 et 36. La Commission du Vieux-Paris et son secrétaire, Lucien Lambeau, savaient ces immeubles susceptibles d’être « remplis de vestiges de l’antique cité », et ils ont accompagné ces travaux de démolition en effectuant des relevés et en collectant des objets intéressants pour les transférer au Musée Carnavalet. Surtout, en faisant faire des photographies des maisons condamnées, ils ont conservé pour l’avenir leur aspect et celui du quartier disparu.
Disponible et accessible sur le site du Musée Carnavalet, ce plan est daté du 15 fructidor an 4e de la République (1er septembre 1796). Ses auteurs sont deux architectes, Van Cléemputte[1] et Barbier[2] qui certifient ce plan comme « conforme aux déclarations indiquées dans les procès-verbaux » qu’ils ont dressés et joints. Ces documents furent probablement établis dans la perspective de la vente des deux maisons des numéros 34 et 36 rue Saint-Paul (numérotées 9 et 8 sur le plan, selon la numérotation en vigueur entre 1790 et 1805). En effet, nationalisées comme biens du clergé en même temps que les autres propriétés que possédait l’ancienne fabrique Saint-Paul, les « deux boutiques et dépendances au passage Saint-Pierre et Paul, n° 8 et 9 » furent vendues deux mois plus tard, le 29 brumaire an V (19 novembre 1796) aux citoyens Charles et François Laflèche[3].
Mitoyenne de celle qui abrita la pharmacie de la rue Saint-Paul, la maison qui portait le numéro 36[1] partagea son sort ; elle fut abattue en 1913 pour que la nouvelle voie tracée sur les décombres du passage Saint-Pierre pût déboucher librement rue Saint-Paul.
Cette maison fut d’abord, en 1808, la propriété de Marie-Philippe Guernet et de Marie Cagnard, son épouse. Ils la vendirent en août 1810 à Pierre Laurent, un marchand boucher, et sa femme, Anne Avizard, qui demeuraient un peu plus loin, au n° 42 de la rue[2]. Le boucher décéda en 1825, et après la mort de sa veuve, leurs enfants cédèrent la maison en 1836 à un maître-boulanger, Joseph Morel, qui tenait déjà une boulangerie dans la rue, au n° 39, juste en face. Si l’on en croit les annuaires et almanachs de l’époque, il semble avoir attendu dix ans avant de transférer son commerce dans sa nouvelle propriété [3], sans doute le temps de reconstruire la maison comme on le verra plus bas.
Porche d’entrée vers le passage Saint-Pierre, 34 rue Saint-Paul, avec à droite l’entrée de l’escalier de l’immeuble (BHVP, source)
Il y a un peu plus de cent ans, le débouché actuel de la rue Neuve-Saint-Pierre sur la rue Saint-Paul était occupé par deux maisons dont on a commencé précédemment à raconter l’histoire. Au travers de celle qui portait le numéro 34 rue Saint-Paul[1] était percé le passage qui donnait accès à l’un des deux segments de voie en équerre formant le passage Saint-Pierre.
Condamné à tomber pour permettre l’ouverture de la future rue Neuve-Saint-Pierre, l’immeuble est représenté ici, sur ce cliché de presse daté de 1911, deux ou trois ans avant l’arrivée des démolisseurs. A droite de la pharmacie, dont on aperçoit une partie de la devanture, l’ouverture voûtée en plein cintre du passage voisinait avec l’entrée de l’escalier qui desservait les étages de la maison. Au pied de la vieille façade couverte d’affiches et de réclames, assise sur un pliant en toile, une marchande des quatre saisons a déposé ses paniers à même le trottoir, faute de disposer d’une carriole ou de tréteaux. Cette femme âgée est-elle la même que celle qui, en 1873, faisait l’objet de la plainte de « plusieurs propriétaires riverains » du passage qui demandaient la « suppression d’un établissement de marchande de légumes installée à l’entrée dudit passage, du côté de la rue Saint-Paul »[2] ?
Vue du 34 rue Saint-Paul, peu avant sa démolition, avec le passage voûté donnant accès au passage Saint-Pierre (Bibliothèques de la Ville de Paris)
Le tracé en équerre du passage Saint-Pierre, entre la rue Saint-Antoine et la rue Saint-Paul, débouchait dans cette dernière rue par une galerie voûtée traversant l’immeuble du n°34. Datant du XVIIe siècle, cette vieille demeure fut abattue en 1913-1914 pour ouvrir sur la rue Saint-Paul la future rue Neuve-Saint-Pierre, tracée sur les ruines du passage condamné. Lucien Lambeau, de la Commission du Vieux-Paris, dressa alors un rapport validant les démolitions mises en œuvre[1]. Pour écrire cette histoire, nous partirons de son travail et nous le complèterons et l’illustrerons par d’autres informations tirées des archives, de la presse et des sources bibliographiques.
Portail du 12 rue des lions-Saint-Paul (Phot. G. Landau).
L’hôtel de Launay, situé au 12 rue des Lions-Saint-Paul, a été construit au début du XVIIe siècle. Il est remarquable par bien des aspects, et notamment par son portail. « Décoré de claveaux en bossage, [il] est surmonté d’un fronton à base interrompue par une clé passante en pointe de diamant et deux claveaux ». Les ventaux de la porte sont « sculptés de rinceaux, coquilles, palmes et fleurs »[1].
A l’emplacement où aujourd’hui se dresse l’immeuble abritant, côté rue Neuve-Saint-Pierre, le Monoprix Saint-Paul, s’élevaient, ici à droite, jusqu’à leur démolition en 1915, les trois maisons numérotées 9, 11 et 13 passage Saint-Pierre. Au fond, on aperçoit le passage voûté qui donnait alors, au travers d’un immeuble aujourd’hui disparu, sur la rue Saint-Paul, et à gauche, le mur des bâtiments de l’ancienne école de garçons, reconstruite entre 1913 et 1924. (phot. Atget, vers 1900, Gallica BnF)
Les trois maisons contigües portant les numéros 9, 11 et 13 bordaient la partie du passage Saint-Pierre qui rejoignait la rue Saint-Paul. Après la nationalisation, en 1792, des biens de la Fabrique Saint-Paul dont elles faisaient partie, elles furent louées, ainsi que tout le passage, au citoyen Carlet, « par bail du 21 ventôse an II (11 mars 1794), pour 9 années à compter du 12 germinal audit an II (1er avril 1794) ». Trois ans plus tard, le 27 messidor an V (15 juillet 1797), les trois maisons furent mises en vente et acquises « moyennant 51 700 francs, [par le] citoyen Rotrou, demeurant rue du Petit-Musc, n° 12 »[1].
Le 5/7 passage Saint-Pierre. L’immeuble est vu depuis l’entrée du passage rue Saint-Paul. Il est en cours de démolition, la partie sur sa gauche étant déjà abattue. A droite de la voie, l’ancien bâtiment de l’école primaire (Coll. Bibliothèques de la Ville de Paris).
Le 5/7 passage Saint-Pierre
Avec l’immeuble du n° 6 dont elle était mitoyenne et avec lequel elle s’imbriquait, la propriété portant le n° 5/7 du passage Saint-Pierre était en partie bâtie sur le passage voûté qui conduisait à l’ancien cimetière Saint-Paul. Située à la rencontre des deux tronçons en équerre formant le passage Saint-Pierre, elle possédait deux entrées placées de part et d’autre de la voûte marquant l’angle de la voie, cette particularité expliquant sa double numérotation.
Issu comme les bâtiments voisins des biens de l’ancienne Fabrique Saint-Paul nationalisés en 1792, le n° 5/7 fut vendu le 28 fructidor an IV (14 septembre 1796) « moyennant 8 100 francs au citoyen Berger, demeurant quai des Augustins, n° 48 »[1]. Antoine-Dominique Berger mourut en 1814. Sa veuve, Jeanne-Françoise Minnonet, décédée en 1826, désigna Clotilde-Égalité Villain, épouse de Jean-Pierre-Joseph Collin, comme héritière universelle. Clotilde-Égalité mourut en 1842, son mari en 1843, et leurs enfants se défirent de leur bien qui fut vendu par adjudication à Honoré-Joseph Texier, brasseur au 232 rue du Faubourg Saint-Antoine. A son décès en 1861, la propriété fut acquise, par adjudication là encore[2], par l’un de ses fils, Jules-André Texier. Puis en 1887, elle fut achetée par Alphonse-Alexandre Foiret, habitant Villiers-sur-Marne, contre la somme de 54 000 francs [3].